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craindre des luttes qu’on voudrait voir à jamais conjurées, l’Algérie aura fourni à la marine nationale de précieuses occasions de se développer, et l’esprit militaire se sera conservé intact dans les camps, tout en se rendant utile dans les ateliers des travaux publics; en même temps les chemins de fer exécutés pourront remettre à la disposition de la France une moitié des garnisons algériennes. De son foyer au nord du continent africain, la civilisation rayonnera sur les états de Tunis, de Tripoli et de Maroc, pour y étouffer les restes d’une barbarie séculaire par une intervention armée ou par l’influence diplomatique, suivant que son honneur et son intérêt l’exigeront. Avançant de proche en proche au sud par ses explorateurs, ses résidens et ses consuls, l’inspiration française nouera, sur toutes les routes du désert et du Soudan, des liens de commerce et d’amitié qui, en se prolongeant vers le sud-ouest, rejoindront le Sénégal, pour embrasser les deux colonies dans un même plan d’action sur l’Afrique, destinée à devenir les Indes orientales de la France. Doublé d’étendue, le territoire français offrira un asile hospitalier à l’émigration de ses propres enfans et de ceux de l’Europe qui sauront en faire un champ d’activité et un instrument de fortune. Dans le contact fécond des races diverses, le génie national retrempera les ressorts d’expansion colonisatrice qui ont fait sa grandeur en d’autres temps, et dont les fruits ont été perdus par la faute des gouvernemens. Une large rémunération du travail et le facile accès à la propriété du sol introduiront des données nouvelles dans la solution de ces graves problèmes du paupérisme et du prolétariat, dont la politique se préoccupe à bon droit autant que la science. De nouvelles terres, en des mains laborieuses, fourniront des matières premières à l’industrie, des marchandises au commerce, des denrées à la consommation, des revenus au trésor, des soldats à l’armée, des matelots à la marine, des citoyens au pays. Pour obtenir ces nobles résultats, la bonté maternelle de la France devra élever à son niveau les races vaincues et déchues, leur enseigner le travail dans la paix par ses leçons et ses exemples : sa tolérance et ses bienfaits amortiront leur hostilité, qu’au besoin sa toute-puissance désarmerait. Sur ces parages redoutés et bien gardés[1], d’où la piraterie musulmane bravait toute l’Europe chrétienne, la barbarie reculera devant la civilisation. Une société prospère offrira enfin, dans son développement régulier, à la mère-patrie la plus digne récompense de trente années de luttes héroïques et de généreux efforts.


JULES DUVAL.

  1. Les Turcs appelaient Alger la bien gardée.