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tats ne doivent être appréciés qu’avec réserve, car le succès économique se mesure essentiellement au rapport entre la dépense et le produit. Réaliser de belles choses avec des millions atteste toujours de l’intelligence et de l’application, ce que nul ne refuse aux trappistes ; mais pour proposer leur système de culture comme modèle aux colons, ainsi qu’on le fait souvent, il faudrait pouvoir dire que le revenu des capitaux remis en leurs mains a constitué un placement lucratif. Or à défaut de tout compte-rendu il est impossible de le savoir. Dans le pays, chacun penche vers le doute.

L’Union agricole du Sig dans la province d’Oran n’invoquait aucun titre à la même bienveillance, et elle ne l’a pas obtenue. En vain déclinait-elle toute prétention à réaliser un phalanstère : ses ennemis et quelquefois ses amis s’obstinaient à lui donner ce titre, qui ne pouvait être qu’une médiocre recommandation auprès des autorités locales. Pour se convaincre de la sincérité de ses déclarations à cet égard, il eût suffi de rapprocher ses statuts de ceux dressés en Belgique vers 1842 par une compagnie qui se proposait la colonisation du Guatemala, celle-ci tout inspirée par des sentimens catholiques. Ici et là se retrouvent les mêmes principes et les mêmes tendances, qui se résument en une clause fondamentale : association du travail au capital pour la propriété et pour les bénéfices, pensée dont le phalanstère ne saurait revendiquer le monopole, car on la trouve à l’état de germe plus ou moins développé au sein de la civilisation contemporaine. L’Union du Sig a survécu à treize années d’épreuves, dont les plus graves lui sont venues de sa situation malheureuse sous le vent des marais de la Macta, cause permanente de fièvres ; mais les tentatives d’association n’y ont duré que les premières années. Sans rien abandonner d’un principe dont l’excellence leur paraît incontestable, les directeurs de l’établissement ont dû reconnaître bientôt qu’avec une population aussi mobile et aussi mal préparée à une discipline régulière que celle qu’ils pouvaient recruter, le travail sociétaire devenait plus coûteux encore et moins lucratif que le travail salarié, et surtout que le travail de la famille. Le pionnier livré à lui-même déploie des efforts héroïques, dont se dispense l’ouvrier sociétaire, qui est sûr de son pain quotidien. Pour rétablir l’égalité, il faudrait des ressorts d’ordre moral, des élans de dévouement et d’enthousiasme, sur lesquels on comptait chez tous, et qui ne se sont révélés que chez quelques travailleurs d’élite. Néanmoins une sincère estime ne peut être refusée à de courageux colons qui ont bravement payé de leur personne, à des actionnaires qui ont dépensé plus d’un demi-million sur le sol. Leurs avances, stériles pour eux-mêmes jusqu’à présent, ont répandu le bien-être parmi une nombreuse population, et contribué pour la meilleure part au développement de la petite ville de Saint--