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tion asiatique et africaine appliqué à l’Algérie. Divers projets, conçus par des spéculateurs, appuyés par des publicistes, ont suscité une émotion que nous estimons bien fondée : sans les discuter à fond, nous constaterons seulement qu’entre les colonies lointaines et l’Algérie, nulle similitude n’existe quant aux besoins et aux ressources en main-d’œuvre. L’Algérie possède une population indigène qui concourt au travail et à la production; elle peut recruter à son gré des travailleurs dans toute l’Europe, et particulièrement dans les états méditerranéens. Il est vrai que leurs émigrans, membres de sociétés civilisées, sont plus exigeans sur la dignité humaine que des noirs, voire des Indiens et des Chinois; ils réclament des droits, des libertés et des garanties; ils ont voix et plume pour se plaindre. Au régime militaire ils préfèrent le régime civil. Dans cette supériorité morale, nous ne saurions voir qu’un titre de plus aux préférences de la colonie. Si leur main-d’œuvre coûte plus cher, elle est plus intelligente et plus réellement productive.

Notre réprobation est plus absolue contre les Indiens et les Chinois, fils de civilisations perverties, que contre les nègres, grands enfans qui peuvent s’élever par nos soins à l’adolescence. Un trait de mœurs recommande surtout ces derniers : ils aiment la vie de famille autant que les autres la dédaignent. A leur égard, nous ne condamnons que les razzias féroces, les violences de l’esclavage, les ruses des contrats employées pour les recruter et les emmener. Que, par des moyens non désavoués par l’humanité, la France les enlève aux misères du Soudan en faisant retentir à leurs oreilles les joies de la terre promise: que librement ils quittent leurs foyers, traversent le désert et s’installent chez les colons ou les Arabes, nouant et dénouant à leur gré la chaîne de leurs engagemens, l’Algérie acceptera volontiers une main-d’œuvre qui, sans être très intelligente ni très active, ne manque pas de valeur, car elle est docile, affectueuse et honnête, qualités que l’économie rurale fait entrer même dans ses calculs, que le cœur surtout aime à trouver dans des collaborateurs, et qu’il chercherait en vain dans les Chinois et les Indiens. Ce ne serait pas un phénomène inconnu que l’infiltration en détail en Algérie de la race noire, qui est très répandue dans les oasis du Sahara, où, mieux que les races arabe et berbère, elle résiste aux influences paludéennes. Certains noirs arrivent librement avec les caravanes par Insalah, Ridamès, R’ât; les autres, c’est le plus grand nombre, venus comme esclaves, restent dans les familles comme serviteurs volontaires, ou prennent la liberté que leur offre le sol français. Nul préjugé de couleur n’existant dans les populations arabes, des alliances de sang entrent dans les habitudes domestiques, et il en naît des générations de mulâtres à tous les de-