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en 1854 pour étudier la question d’émigration, le représentant du ministère de la guerre déclara que le temps n’était pas encore venu de tenter aucun effort pour détourner vers l’Afrique le courant qui se dirigeait vers le Nouveau-Monde, et cette déclaration traduisait fidèlement la politique invariable de tous les ministères antérieurs. Jamais aucun d’eux n’a fait appel à l’Europe pour peupler et cultiver l’Algérie. Aucun consul français à l’étranger n’a reçu des ordres dans le sens d’un tel dessein; bien au contraire, les instructions adressées aux préfets des départemens frontières ont eu pour objet, par l’exagération des formalités et des justifications, de ralentir plutôt que d’accélérer le mouvement de l’émigration. La naturalisation est restée le privilège d’un séjour décennal et d’un décret impérial accordé après de longues enquêtes et formalités. Malgré cette conduite si peu encourageante, il a suffi que l’Algérie fût, de notoriété publique, destinée à être colonisée pour faire affluer un si grand nombre de demandes de concessions, que la dixième partie tout au plus a pu être accueillie. Combien de bras, d’intelligences et de capitaux ont été ainsi écartés, aucun calcul précis ne peut le dire, car la statistique officielle, après avoir commencé des révélations à ce sujet, les a bientôt après suspendues.

Cette inertie de l’autorité directrice n’a pas permis de former ces compagnies d’émigration qui, en Allemagne, en Suisse, en France même[1], se font les auxiliaires des états qui veulent recruter des colons. Qu’auraient-elles pu promettre ou annoncer, ignorant les terres disponibles et les conditions à espérer de l’état? Ainsi le champ reste livré, sans concurrence, aux agens de l’émigration australienne et américaine, qui ne se font faute de tout décrier de l’Algérie : le climat, le sol, surtout le régime politique et administratif. Par eux inspirés et soldés, les journaux allemands ne manquent pas une occasion d’exalter l’Amérique aux dépens de sa jeune rivale. Nul intérêt contraire ne veille à rétablir la vérité : on lutterait d’ailleurs à grand’peine contre cette opinion, universellement accréditée naguère, que l’Algérie, soumise au régime militaire, ne saurait être la patrie d’hommes qui veulent être libres. Une politique nouvelle, bien hautement proclamée et appliquée avec persévérance, pourra seule modifier ces premières répulsions, moins vives heureusement dans les états méridionaux de l’Europe, d’où vient à l’Algérie la population qui lui convient le mieux.

Prendre si nettement parti pour l’émigration européenne, c’est du même coup se déclarer l’adversaire décidé de tout plan d’immigra-

  1. Il existe en France une vingtaine de maisons autorisées pour le recrutement et l’envoi des émigrans à l’étranger, pas une seule pour l’Algérie.