Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le pionnier de l’Afrique septentrionale. Son tempérament, acclimaté d’avance, se plaît aux chaleurs; son bras de fer s’attaque aux palmiers nains les plus enracinés, aux jujubiers les plus épineux, avec une ardeur que la résistance aiguise et n’amortit pas. Bien loin de dédaigner sa rude besogne, il la prise haut et l’aborde comme une fête. La famille partage sa destinée et le fortifie de ses douces influences; le travail se divise entre tous ses membres : le champ pour l’homme, la maison pour la femme, les enfans vont de l’un à l’autre. Quand une sobriété d’anachorète a quelque peu grossi l’épargne, la première dépense de luxe est pour une guitare, écho criard des amours et des joies. La fièvre vient-elle arrêter le bras du vaillant travailleur, il la subit avec une résignation toute chrétienne et même quelque peu musulmane, comme la rançon fatale de sa misère. Dans la province d’Alger les Mahonnais, dans celle d’Oran les Espagnols de l’Andalousie, ont exécuté la meilleure part des défrichemens et créé les jardins maraîchers qui entourent les villes d’une ceinture verdoyante. La culture comme la consommation du tabac ont pour eux un attrait particulier, et leurs femmes excellent dans la fabrication des cigares. Là s’arrêtent leurs qualités. Ne demandez pas aux Espagnols de se montrer doux et sociables envers les autres étrangers, surtout envers le Juif ou le musulman : leur âme ne se dépouille pas plus de son âpre orgueil que leur corps musculeux de sa couverture de laine. A voir leurs fières allures en un temps où ils sont confondus dans la foule, on devine ce que devait être leur domination, et l’histoire, qui nous les montre maîtres de la régence d’Alger pendant deux siècles sans qu’ils aient rien fondé hors des villes, s’explique d’elle-même.

Dans la province de Constantine, les Maltais jouent un rôle pareil pour la culture; mais leur énergie n’a rien de hautain, et leurs goûts les portent en même temps vers les petits commerces et les petites industries; ils excellent à raffiner l’épargne au point de faire aux marchands et boutiquiers juifs une sérieuse concurrence. Les Italiens promènent hors de leur pays la variété de tendances dont la politique les accuse comme d’un défaut. Tandis que les Génois rivalisent avec les Mahonnais pour les cultures maraîchères et la pêche, les Piémontais sont plutôt industriels, briquetiers, maçons, tailleurs de pierres, charpentiers, menuisiers, et par ces aptitudes ils se rapprochent des Suisses, chez qui elles sont communes. Les Allemands réunissent les qualités les plus diverses : caractère sérieux, sens moral développé, instruction première, patience inépuisable, vertus de famille; ils seraient parfaits, s’ils résistaient un peu mieux à la tentation de retremper leurs forces, épuisées par des chaleurs inaccoutumées, dans des boissons plus excitantes que toniques :