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M. Maltebrun s’est appliqué à tracer d’une façon complète l’itinéraire du jeune Allemand et à coordonner les notions nouvelles qui en résultent. Vogel a vu et franchi après Barth le Binué ou Tchadda, ce grand affluent du Niger qui a été remonté par le docteur Baikie, et qui doit ouvrir aux Européens l’accès du Soudan central ; il a pénétré plus-au midi que ne l’avaient fait ses prédécesseurs, sur les bords du Serbenel, affluent du lac Tsad, dans le pays des Tuboris, que recouvrent d’immenses marécages formant après la saison des pluies une sorte de mer temporaire. Autrefois sans doute les marais des Tuboris rejoignaient le Tsad et le Fittri pour former avec eux le centre de la grande mer soudanienne. Les peuplades qui sont répandues dans les contrées que traversa le voyageur à cette limite extrême de son excursion n’ont pas été atteintes par la conquête musulmane ; toutefois quelques-unes paient un tribut d’esclaves aux Fellatahs par crainte de ces terribles envahisseurs. Plus à l’ouest, Vogel pénétra dans des villes que n’avait visitées aucun des membres de l’expédition avant lui : Yakoba, qui n’avait pas vu d’Européen depuis Clapperton, et Salia, qui n’a pas moins de seize kilomètres de tour. Celle-ci, pour son étendue, sa population et l’importance de son marché, doit prendre place à côté des grandes villes de Kano, de Sokoto, de Gando, et elle est située dans la même région qu’elles. « Elle est, écrivait le voyageur, protégée par un fossé et par un mur d’environ quinze pieds de haut ; le nombre de ses habitans est d’environ vingt mille ; une grande portion du sol, dans l’intérieur des murs, est en culture. La ville a trois noms différens : Zeg-Zeg, Salia et Sansan. Le premier est celui de la peuplade païenne sur laquelle elle a été conquise par les Fellatahs en 1807 ; le second lui a été imposé par ses nouveaux maîtres, et le troisième désigne à la fois la ville et toute la province. » C’est au retour de cette expédition dans l’ouest que Vogel, revenant à Kuka, prit la résolution de pénétrer dans l’est par le Bagirmi, où nous avons suivi le docteur Barth jusqu’au fond du Waday ; la dernière de ses lettres qui soit parvenue en Europe était datée du 4 décembre 1855. Le voyageur, en y annonçant son intention de gagner le lac Fittri et la ville de Wâra (c’est la capitale du Waday), témoignait l’espoir d’être de retour au commencement de 1857. Ce serait vers cette époque, d’après les récits apportés au Tripoli par des caravanes, que Vogel aurait été décapité par ordre du sultan du Waday en représailles de confiscations opérées par l’agent anglais de Tripoli sur des marchandises venant de ce pays. Depuis, on a raconté que le voyageur, dans une de ses excursions aux environs de la ville de Wâra, s’était dirigé vers une montagne sacrée dont l’accès était interdit même aux musulmans, et que pour ce fait il aurait été mis à mort, ou peut-être seulement emprisonné. Le fruit de ses labeurs n’aura cependant pas péri tout entier ; outre les fragmens réunis et appuyés d’une carte par M. Maltebrun, nous avons un certain nombre de positions déterminées astronomiquement, et dont le géographe français a eu l’heureuse idée de présenter le tableau à la fin de son résumé historique.


ALFRED JACOBS.


V. DE MARS.