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cette vérité est amère, combien aussi est-elle douce et flatteuse, quand le témoignage des étrangers vient confirmer par tel ou tel événement de notre histoire l’enthousiasme traditionnel de notre pays et légitimer notre orgueil à nos propres yeux !

La révolution française à son début est un de ces événemens. Elle fut saluée à l’étranger par des intelligences élevées et de nobles cœurs, dont la sympathie reste un de ses meilleurs titres. Fox et Sheridan, Schiller et Klopstock, tous tressaillent et s’inclinent. Kant lui-même, le flegmatique Kant, s’étonne de se sentir ému. Que Fichte, son élève, jeune alors, mais qui resta toujours jeune de cœur, se soit senti violemment remué par un événement capable de tirer Kant de ses abstractions et de l’étude de la raison pure, rien d’étonnant. On sait comment Fichte devait mourir, et si ce souvenir est pour nous pénible, ce n’est pas une raison pour refuser à cette mort notre douloureuse admiration. Après avoir passé sa vie à enseigner le devoir, Fichte périt en le pratiquant.

L’ouvrage de sa jeunesse que M. Barni vient de traduire, les Considérations sur la Révolution française, contient l’adhésion la plus complète et la plus franche aux principes de 1789, tels qu’ils sont restés pour tout esprit libéral. Ceux qui traitent aujourd’hui Montesquieu d’idéologue trouveront dans Fichte bien des rêveries, et sur quelques point de détail ils auront le triste mérite d’avoir raison. C’est, chez le philosophe allemand comme chez nos pères de la constituante, les mêmes espérances illimitées, la même confiance dans le bon sens public, tout cela avant l’heure des désenchantemens et des humiliantes expériences. Il y eut là bien des illusions sans doute ; mais l’illusion est nécessaire à qui entreprend les grandes tâches. En pareil cas, quand on ne veut que ce qui est rigoureusement possible, on ne peut pas même tout ce que l’on veut. Ces illusions d’ailleurs sont un défaut dont nous sommes provisoirement si corrigés ; elles nous sont devenues tellement étrangères, qu’exprimées par Fichte, elles auront du moins à cette heure un intérêt de curiosité. Même pour les critiques calmes, qui n’aspirent qu’à constituer « l’histoire naturelle des esprits, » des esprits comme Fichte, des êtres qui ont cru à la dignité humaine et à la justice absolue, restent d’intéressans sujets d’étude ; c’est une variété perdue que ces naturalistes réclameront peut-être comme appartenant de droit à cette nouvelle branche de l’anatomie comparée. C’est bête comme un fait, disait M. Royer-Collard ; — c’est bête comme une idée, diraient volontiers nos critiques. Mais quand une idée a eu la chance d’être signée du nom de Fichte, peut-être alors devient-elle quelque chose comme un fait, et à ce titre assez respectable.

Les traductions des divers ouvrages de Kant, que M. Barni a publiées jusqu’ici, et dont l’une a été couronnée par l’Académie française, offrent un mérite très précieux pour nous autres Français ; on les dit plus claires que le texte. Ici l’habile interprète ne rencontrait pas tout à fait les mêmes difficultés ; le style de Fichte est dans cet ouvrage beaucoup moins hérissé de formules que celui de Kant, plus pratique grâce au sujet, et par conséquent plus clair. C’est une lecture et non une étude, une lecture intéressante, surtout par le sujet et par le point de vue particulier où l’auteur était placé. M. Barni a fait précéder cette traduction d’un travail plein d’intérêt et de