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C’est au moment où l’inconnu s’ouvrait ainsi à la France et à l’Europe que notre pays vient de perdre un de ses citoyens les plus fermes et les plus intègres et un de ses plus illustres écrivains politiques. M. Alexis de Tocqueville s’éteignait, il y a quelques jours, à Cannes, après une longue et cruelle maladie. Une plume amie ne tardera pas à rendre ici à cette noble mémoire l’hommage qu’elle mérite, et l’on ne nous pardonnerait pas de remplir imparfaitement ce devoir. En voyant mourir en un tel moment M. Alexis de Tocqueville, ce libéral viril qui pénétrait avec une intuition si sûre les lois mystérieuses qui gouvernent le tempérament des peuples et le cours des événemens, on ne peut s’empêcher de se demander avec tristesse ce que cette haute intelligence eût auguré pour les deux cultes de sa pensée, la France et la liberté, de la grande expérience où nous entrons. Quel que fût le jugement qu’il eût porté sur le présent, M. de Tocqueville aurait eu, croyons-nous, bon espoir pour la liberté et pour la France. Les libéraux sans doute répugnent à provoquer la guerre, même pour le triomphe des idées qui leur sont chères, car ils croient que ces idées ont assez de vertu pour réussir sans violence ; mais la guerre ne les décourage pas, car l’histoire moderne de l’Europe leur a appris qu’en affaiblissant le despotisme par les charges et les souffrances qu’elle impose, la guerre finit toujours par populariser la liberté.

Les affaires du Holstein n’occupent pas l’Europe comme les affaires d’Italie, et cela se conçoit ; elles n’existent pas moins. Peut-être même, dans la situation qui s’est dévoilée tout à coup, serait-ce montrer une étrange légèreté de ne point tenir compte de ces difficultés, en apparence secondaires, de ces questions incidentes, qui un jour ou l’autre, et sans qu’on y prenne garde, peuvent jouer leur rôle dans l’ensemble des complications du continent, car enfin cette question du Holstein n’est-elle pas un des élémens des rapports des puissances allemandes ? Ne peut-elle pas avoir son influence sur la politique du Danemark lui-même ? Le Danemark, on le sait, a fait ce qu’il a pu pour donner une satisfaction aux réclamations légitimes de l’Allemagne, en convoquant, il y a quelque temps, une nouvelle diète dans le Holstein, et en consultant cette diète sur les besoins des duchés, sur leurs vœux, sur la place qu’il leur convient d’accepter dans l’organisation constitutionnelle de la monarchie danoise ; il n’a point réussi : les états provinciaux du Holstein ont répondu par une opposition systématique, et en formulant des prétentions qui mettraient en doute l’existence de la monarchie elle-même. Qu’est-il arrivé depuis ce moment ? Le cabinet de Copenhague, si nous ne nous trompons, a transmis à ses envoyés près des cours étrangères un mémoire tout confidentiel où il expose les idées, les actes, les propositions diverses qui se sont fait jour dans cette laborieuse et infructueuse session de la diète du Holstein. Ce n’est ni un document diplomatique, ni une note officielle destinée à être remise aux gouvernemens ; c’est un simple résumé de l’état de la question, fait pour servir de guide à tous les envoyés danois, de même que le ministre des affaires étrangères du Danemark a dû s’en servir dans ses entretiens avec la diplomatie étrangère accréditée à Copenhague. La pensée du Danemark a été de bien montrer en quoi la diète du Holstein pouvait avoir raison, en quoi aussi elle s’était donné les torts les plus graves. Des versions diverses ont été présentées de ce mémoire ; elles