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autrichienne à M. de Cavour, n’aurait fait qu’apposer sa signature au bas d’un document qu’il n’approuvait guère. Il faut donc voir dans la démarche qui a mis fin aux espérances de paix un des résultats habituels du despotisme, un de ces coups de tête par lesquels les souverains absolus sont enclins à interrompre violemment le pacifique travail des discussions raisonnées.

Il n’est pas nécessaire de faire remonter le récit des négociations qui viennent d’avoir un si triste dénoûment au-delà de la mission de lord Cowley. Le voyage diplomatique de l’ambassadeur anglais à Vienne avait réussi, s’il faut en croire les déclarations réitérées du cabinet britannique. Si en effet les quatre bases par lesquelles lord Malmesbury a défini plus tard le travail du congrès doivent être considérées comme la formule des élémens de négociation que lord Cowley avait ménagés entre Vienne et Paris, il faut reconnaître qu’un point de départ sérieux pour une transaction pacifique avait été obtenu. C’était quelque chose en effet, sans parler de l’évacuation des États-Romains, de poser pour l’Autriche aussi bien que pour la France îe principe de la nécessité des réformes dans les états italiens, et le principe de la substitution d’une confédération italienne aux traités particuliers de l’Autriche. Le cabinet anglais regrette qu’à la négociation préparée sur de telles bases, qui étaient le fond même de la question italienne, il ait été substitué par la Russie une proposition de congrès. Le regret du cabinet anglais, nous sommes fâchés de le dire, exprimé après coup, nous paraît oiseux. On aura toujours le droit de dire à lord Derby et à lord Malmesbury : « Pourquoi avez-vous acquiescé au congrès, si vous pensiez être sûrs de faire réussir la négociation dans la forme où lord Cowley l’avait établie ? » Le cabinet anglais, de son propre aveu, aurait donc commis une faute en se ralliant à la proposition de la Russie ? Mais le langage de lord Malmesbury à la chambre des lords nous permet de supposer que le cabinet anglais n’avait pas dans le succès de la négociation préparée par lord Cowley une foi aussi vive que celle qu’il a manifestée rétrospectivement. Qu’elle est en effet l’excuse que lord Malmesbury donne à sa conduite ? Il prétend qu’il a adhéré au congrès pour détourner la responsabilité qui eût pesé sur lui, si, après son refus, la paix ne fût point sortie de la négociation commencée par l’ambassadeur d’Angleterre à Paris. Lord Malmesbury et ses collègues n’étaient donc pas sûrs du succès de cette négociation ? Et en effet, pour en assurer le succès, il eût fallu qu’ils eussent eu le dessein arrêté de sortir au besoin de la neutralité pour imposer leur arbitrage à celle des deux puissances qui eût refusé son consentement à une solution équitable. Le cabinet anglais, n’ayant pas la force ou se croyant empêché par les intérêts de son pays de prendre une résolution semblable, était obligé d’accepter le congrès, et tous ses regrets sur une pareille détermination sont aujourd’hui aussi puérils que superflus. La forme de négociation par congrès une fois mise en avant, il est bien vrai, comme l’a dit lord Derby, que les discussions sur la forme ont fait perdre de vue le fond même des délibérations tel que l’avaient défini les bases anglaises, et que la paix a été compromise parle débat des questions de forme avant que les élémens mêmes d’une solution diplomatique n’aient été abordés ; mais à qui la faute ?