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M. Faure chante avec beaucoup de goût. Dinorah, s’éveillant comme d’un long rêve, recouvre peu à peu sa raison et reconnaît son amant. Cette situation donne lieu à un duo plein de passion qui renferme de très-beaux passages. L’œuvre se termine par la reprise du premier chœur du pardon : Ave Maria ! ce qui achève la guérison de Dinorah, dont le bonheur va s’accomplir.

On vient de se convaincre que les morceaux remarquables de toute nature sont assez nombreux dans la nouvelle partition de Meyerbeer : — au premier acte, un chœur charmant et très-mélodique, la berceuse de la folle, la scène piquante et pleine d’incidens entre Dinorah et le cornemuseux qu’elle force à danser l’air d’Hoël : Ô puissante magie ! le duo entre les deux hommes et le trio final où domine la voix capricieuse de Dinorah ; — au second acte, le chœur des buveurs, la vision de la folle dansant au clair de la lune et s’entretenant avec son ombre, la légende d’un si beau caractère : Sombre destinée ! le duo si musical et si dramatique des deux hommes, Hoël et Corentin, et le trio final, page vigoureuse où l’auteur de Robert n’a pu garder son incognito ; — toute la partie bucolique du troisième acte, mais surtout Tair de chasse, d’une originalité simple et franche, la romance d’Hoël et le duo des deux amans, qui peut être détaché de la situation sans rien perdre de sa valeur musicale. Cette dernière remarque peut s’appliquer du reste à tous les morceaux saillans du Pardon de Ploërmel, qui est, à notre avis, l’opéra le plus franchement mélodique qu’ait écrit Meyerbeer. Si, au lieu de parler à un public éclairé qui ne veut et qui n’a besoin de connaître que les beautés générales de l’œuvre dont on l’entretient, il nous était permis de nous occuper de détails de facture et de relever minutieusement l’emploi que fait le maître de tel accouplement d’instrumens, d’une succession harmonique ou d’une modulation plus ou moins hardie et nouvelle, la partition de Meyerbeer nous offrirait une mine d’observations curieuses ; mais cette œuvre de scoliaste nous est heureusement interdite ici. Nous n’avons point à nous préoccuper des difficultés du métier et à nous extasier, comme des apprentis, devant un glacis ou une combinaison de couleurs. Ce serait déserter la véritable critique et les principes universels qui font sa force pour descendre dans l’atelier du praticien. Qu’on y prenne garde, rien ne serait plus funeste à l’art, qui doit avant tout plaire et charmer, que cette tendance à trop admirer la difficulté vaincue, à trop s’appesantir sur de puérils détails de syntaxe, à introduire enfin, dans la langue générale qu’il convient de parler aux esprits cultivés, le jargon des écoles. Lorsque les grammairiens d’Alexandrie passaient leur temps à peser une syllabe d’un vers d’Homère ou de Sophocle, ils faisaient sans doute une œuvre utile, puisqu’ils ont fixé le texte des chefs-d’œuvre de la poésie grecque, mais leurs travaux n’en marquent pas moins la dernière période d’une grande civilisation.

L’exécution du Pardon de Ploërmel est presque excellente. Meyerbeer a fait un miracle en apprenant un peu à chanter à Mme Cabel, qui ne s’en doutait guère. Elle vocalise avec plus de correction, ses traits nombreux et difficiles sont rendus avec justesse et quelquefois avec un certain charme ; elle mérite enfin le succès qu’elle obtient dans le rôle de Dinorah, qu’elle