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recouvre la raison après un nouvel orage où elle a failli périr. Elle reconnaît alors son fiancé, qui lui explique le motif de sa longue absence. Tout se termine par le mariage des deux fiancés, et le pardon reprend sa marche.

Les croix marchaient devant; sur un riche brancard,
Couverte d’un manteau de soie et de brocart,
La Vierge….. suivait, blanche et sereine,
Le front couronné d’or comme une jeune reine.
Tous les yeux, tous les cœurs étaient remplis d’amour;
Les landes embaumaient, et les châtaigniers sombres,
Penchés le long des murs, versaient leurs fraîches ombres
Sur ces heureux croyans qui chantaient : O pia !
Ave, maris stella, Dei mater alma[1].

Mêlez au récit de cette légende, qui pourrait être plus intéressante et plus neuve, quelques personnages épisodiques, des groupes de paysans, une certaine couleur légèrement fantastique, de beaux décors et une chèvre vivante qui a son rôle tracé, dont elle s’acquitte à merveille, et vous avez le cadre modeste qui a suffi à Meyerbeer pour écrire une de ses meilleures partitions, tant il est vrai que les musiciens médiocres ont presque toujours tort de s’en prendre au pauvre librettiste de leurs défaillances.

Meyerbeer est certainement une des figures les plus curieuses et les plus intéressantes que présente l’histoire de l’art. Homme du Nord, condisciple aimé de Weber, qui a créé le véritable opéra allemand, né d’une famille également favorisée de la nature et de la fortune, Giacomo Meyerbeer n’avait qu’à se laisser vivre. Entouré de deux frères, dont l’un a été un astronome célèbre et l’autre un poète distingué, Giacomo a voulu aussi que son nom s’inscrivît dans le livre de vie. Après avoir été un virtuose remarquable sur le piano comme l’ont été Mozart, Beethoven, Weber, Mendelssohn, après s’être essayé dans plusieurs compositions dramatiques dans la langue de son pays, il se prend tout à coup d’un amour extrême pour la musique italienne, et, rompant tout lien avec la nouvelle école, qui avait voulu précisément soustraire le génie musical de la nation allemande à l’influence des maîtres italiens qui triomphait depuis la renaissance, Meyerbeer descend dans la péninsule, et rétablit par son exemple le pèlerinage antique des musiciens allemands vers les sources pures de la mélodie, car il est bon de savoir que ce pèlerinage des compositeurs allemands avait commencé dès la seconde moitié du XVIe siècle. Praetorius, Henri Schütz, qui fut élève de l’école de Venise, Keyser et tous les compositeurs dramatiques qui ont précédé Haendel, Hasse et Gluck, ont été des admirateurs et des imitateurs de l’école italienne qui régnait alors. C’est à partir de la fin du XVIIIe siècle, après la mort de Mozart et d’Haydn, que l’alliance antique des deux grandes écoles musicales de l’Europe se brise tout à coup. Beethoven, Weber, Schubert, Spohr, Mendelssohn et tous les musiciens qui se rattachent de près ou de loin au mouvement de rénovation dit romantique, c’est-à-dire national, repoussent non-seulement l’ancienne tutelle de l’école qui a produit Palestrina, Carissimi, Scarlatti, Gabrieli, Marcello et Jomelli, mais toute imita-

  1. Brizeux, les Bretons, premier chant, les Pardons.