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jours, organisé une agitation nouvelle pour les perpétuer. L’association pour la protection du travail national a lancé son manifeste, en conséquence duquel les villes manufacturières envoient des pétitions au sénat. Les chambres de commerce, dans la plupart des centres manufacturiers, reconnaissent la loi de l’association, parce que celle-ci a eu soin d’en faire écarter, par les démarches des comités locaux, non-seulement les adversaires, mais aussi les amis douteux, ainsi que c’est exposé dans sa circulaire officielle du 1er mars 1856[1]. Dans ces circonstances, toutes les pétitions sont calquées les unes sur les autres. Non-seulement elles demandent que les prohibitions soient continuées, mais encore elles protestent contre toute enquête qui se ferait à ce sujet. Elles remontrent que l’enquête est inquiétante, je le crois bien. Il ne la faudrait pas longue pour établir que l’industrie française n’a pas besoin de la prohibition pour vivre. La France expédie au dehors, sur les marchés de libre concurrence, les produits même qui chez elle sont garantis par la prohibition. Elle en expédie non pas des échantillons, mais des montagnes. Le total de ce que la France exporte, en fait de marchandises prohibées par notre tarif, dépasse la somme de 400 millions de francs. En présence d’un fait pareil, une enquête doit inquiéter les prohibitionistes. Sur ce point cependant nous serions volontiers de leur avis, il n’y a pas lieu à une enquête. Elle est superflue, car elle est toute faite.

Pendant que les prohibitionistes gênent la marche du gouvernement au dedans, ils ne lui facilitent pas sa tâche au dehors. On sait que l’empereur s’est prononcé souvent pour l’alliance anglaise. Les hommes les plus éclairés, tous ceux qui font cas des institutions libérales, applaudissent à cette pensée et la secondent de leur mieux, parce que l’alliance anglaise, pratiquée avec dignité, est, pour la France comme pour son ancienne rivale, le meilleur gage de sécurité; pour le progrès du monde, c’est une garantie incomparable, et enfin pour nous-mêmes c’est un sujet d’espérance, car l’alliance de la France et de l’Angleterre devant, dans un temps donné, faire jouir des bienfaits de la liberté politique les peuples qui en sont dignes, il est immanquable que la France en arrête sa part au passage. Mais les prohibitionistes l’entendent différemment. Les lois prohibitive sont été adoptées, on le sait, à titre de mesures de guerre contre l’Angle-

  1. Ce système exclusif ne connaît pas d’exceptions. C’est ainsi que la consigne avait été donnée à Mulhouse de ne pas réélire à la chambre de commerce l’honorable M. Jean Dollfus, l’un des hommes qui honorent le plus l’industrie française, et l’un des meilleurs citoyens que compte la France. Malgré son nom, l’importance de sa maison et les services de tout genre qu’il a rendus dans le pays, M. Jean Dollfus a eu de la peine à être réélu.