Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eux, dégagé de toute entrave, le marché de la Grande-Bretagne, ils organiseront leur production en conséquence, et ils ne l’organiseront que sous cette condition. Assurés d’avoir un bon prix pour leurs blés, ils en produiront davantage. Il ne faut pas un grand effort d’esprit pour reconnaître que, si les départemens compris dans le cercle du commerce des céréales avec l’Angleterre, et qui s’étendent des bouches de la Garonne à la vallée de l’Escaut, se mettaient à produire quatre, cinq ou six millions d’hectolitres de plus, ce serait presque assez pour maintenir nos ressources intérieures, dans les années de mauvaise récolte, au niveau de nos besoins. Retenue par l’élévation des prix, la majeure partie, sinon la totalité de cet approvisionnement supplémentaire, au lieu de passer la mer, resterait chez nous. On a ici un des mille aspects sous lesquels apparaissent la fécondité du régime de liberté et sa supériorité par rapport à ces systèmes restrictifs qu’on nous vante comme des panacées, tandis qu’ils ne servent qu’à endormir l’activité nationale, à paralyser la fécondité du sol et de l’industrie. Il est vrai qu’en retour cela fait la fortune de quelques spéculateurs[1], et l’importance d’orateurs et d’écrivains à l’éloquence équivoque.

Tel est donc le bilan de l’échelle mobile : appliquée à l’importation, elle ne garantit point à l’agriculture française des prix élevés ou passables dans les temps d’abondance; appliquée à l’exportation, elle ferme à notre agriculture, ou du moins lui restreint fort le marché le plus riche de la terre, qui est placé à ses portes, et du même coup elle tend à supprimer une réserve qui, dans les années de mauvaise récolte, retenue par l’élévation des prix, viendrait naturellement subvenir à l’alimentation publique. En voilà assez, ce me semble, pour qu’elle soit jugée.

Au point de vue de l’exportation, l’on ne saurait dire que l’agriculture la réclame; pour la plupart, ceux même des agriculteurs sur l’esprit desquels la routine a conservé son empire désirent qu’à cet égard le pays en soit affranchi. L’expérience les a convaincus. On en a la preuve par les dépositions recueillies dans l’enquête; on l’a, plus démonstrative encore, par les déclarations de divers comices, qui cependant ont répondu à l’appel du comité organisé, sous la présidence de M. Darblay l’aîné, pour la défense du travail agricole, de même que la grande association prohibitioniste se croit ou se dit constituée pour la défense du travail national. Le mot d’ordre est cependant donné dans le parti prohibitioniste de perpétuer l’échelle mobile aussi bien à l’exportation qu’à l’importation.

  1. On trouvera sur ce point une révélation intéressante dans la déposition de M. Pagézy. (Enquête, tome II, page 349 et suivantes.) Plusieurs autres personnes ont parlé dans le même sens.