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nent du sommet des montagnes remplir le lit des fleuves. C’est en vain que certains agriculteurs diraient avec plus ou moins de justesse : « L’hectolitre me revient à 18 ou 20 fr., il me faut un prix de vente supérieur à 18 ou 20 fr. » Le prix de vente du blé s’établit en France, malheureusement ou heureusement, indépendamment de ces prix de revient plus ou moins exacts. Il se règle en vertu de cette autre loi inévitable qui fixe la valeur des choses selon le rapport entre l’offre et la demande. Malgré le prix de revient de telle ou telle catégorie de cultivateurs, malgré les combinaisons auxquelles peut se laisser entraîner le législateur, échelle mobile, gros droit fixe ou prohibition, le prix du blé tombe nécessairement, dans les années d’abondance, au-dessous de 20 et de 18 fr. Il faut que l’agriculture en prenne son parti, comme on le prend quand on a devant soi la force des choses, et qu’elle cherche son profit là où il sera la récompense d’un effort, conformément à la règle fondamentale de notre existence ici-bas. Améliorez vos procédés d’agriculture; vous avez des voisins plus appliqués et plus ingénieux, pour lesquels, l’Enquête en fournit la preuve répétée, le prix de revient est de 13 à 14 ou 15, ou même de 10 à 12 fr.; imitez-les dans la limite du possible. C’est ainsi que vous vous placerez au-dessus des effets des abondantes récoltes.

Ici nous rencontrons un autre dire, que les prohibitionistes, qui se sont faits les zélés défenseurs de l’échelle mobile, mettent dans la bouche des agriculteurs : « Ce progrès, que vous dites nous être possible, en réalité ne l’est pas. Nous manquons de ressources, nous sommes dénués de capitaux; nos champs sont infertiles, tout nous est obstacle; nous sommes déshérités de tout point.» À ce compte, le nom de la belle France, par lequel on désigne communément notre patrie, ne serait qu’une cruelle ironie; la France serait une région maudite, dont le terroir serait sur la même ligne que les déserts de l’Arabie, et dont le climat devrait être comparé à celui de la Sibérie! Quant à son système administratif et aux habitudes de ses gouvernemens, ce serait de même le pays le plus mal partagé du monde! Mais en vérité est-on fondé à dire que notre agriculture ait cette irrémédiable et humiliante impuissance pour le progrès? Il est constant au contraire qu’elle avance d’une manière continue, et l’Enquête même en fournit plus d’une preuve. Sans doute nous avons beaucoup de cultivateurs pauvres; mais ceux-là même ont un trésor, qui est l’esprit d’économie : ils le possèdent à un degré dont nous n’avons pas l’idée, nous, habitans des villes. C’est ainsi que lorsque l’expérience, qui est pour eux l’autorité suprême, a démontré l’utilité de quelque pratique, ils trouvent moyen de se l’approprier. Vivant de peu, ayant le ferme désir d’améliorer