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annonçait en bien, en mal, ce qu’il serait plus tard dans ce monde. Il avait fait cesser la tyrannie d’un de ses condisciples sur les enfans de l’école, en l’assommant avec un chandelier de cuivre; il avait excité les fureurs jalouses du principal de l’école, en entamant avec sa femme une flirtation selon toutes les règles. Perfectionné par les bons conseils de sir Henri Fallowfield, Guy tint plus tard tout ce qu’il promettait. Le tempérament dominait chez lui la volonté. Il n’était point méchant, et même il était un ami sûr et dévoué; cependant il lui arrivait de commettre le mal par un excès de force, comme ces athlètes dont les doigts musculeux brisent ce qu’ils voulaient seulement toucher. Il était capable de générosité, et rarement cependant il lui arrivait d’être généreux, car il avait l’orgueil de sa force, et méprisait la faiblesse à l’égal d’un vice. Il n’accordait son appui que lorsqu’on l’implorait, et encore ne l’accordait-il qu’avec une cruelle ironie. Athlétique, orgueilleux et sensuel, Guy était donc un païen dans toute la force du mot; toute beauté morale était pour lui comme non avenue. Les larmes qu’il faisait répandre à une femme lui plaisaient comme une flatterie, car ces larmes étaient une marque de l’amour qu’il avait inspiré. Si le cœur qu’il avait séduit se brisait, il en était fier comme d’un triomphe. Guy était un de ces mondains d’élite, heureusement très rares, qui sont également redoutables, soit qu’on leur cède, soit qu’on leur résiste : si vous leur cédez, leur mépris vous accablera; si vous leur résistez, leur orgueil s’irritera. De pareils hommes sont un vrai fléau, car l’honnête moyenne de l’humanité n’existe pas pour eux, et ils n’estiment que les deux extrêmes de la nature humaine, l’extrême perversité et l’extrême candeur. Par un hasard fatal, leur puissance de faire le mal se trouve en complet accord avec leurs goûts, car de tels hommes ne plaisent en général qu’aux âmes perverses, qu’ils étonnent par une fermeté que l’expérience ne leur a pas révélée, et aux âmes candides, qu’ils troublent et bouleversent. Ce fut l’histoire de Guy Livingstone. Presque à son entrée dans la vie, il aima et fut aimé en même temps de deux femmes séparées l’une de l’autre par l’immense intervalle qui sépare la perversité de la candeur : Flora Bellasys, exécrable jolie femme dont le plus grand plaisir était d’affoler et de désespérer les cœurs qui l’approchaient, et Constance Brandon, âme pieuse et pure, destinée à renouveler l’histoire, si souvent répétée, mais éternellement poétique, des anges qui descendirent sur la terre par amour pour les enfans des hommes. Guy triomphait donc également du bien et du mal; quel triomphe pour son orgueil! Mais auquel de ces deux élémens donnerait-il la préférence? Hélas! Constance Brandon ne répondait qu’à la partie morale de son être, qui