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sion politique. Les inimitiés des partis eurent dans cette année néfaste une intensité et une ardeur que nous ne pouvons pas même mesurer, parce que nous n’avons pas passé par leurs épreuves et que nous ne comprenons pas leurs griefs. Il faudrait avoir été bercé au son du canon de cent victoires, et s’être réveillé un jour à la vue des uniformes étrangers paraissant sur les hauteurs de Montmartre, et d’une dynastie restaurée, rentrant aux Tuileries sous ces funestes auspices, pour se faire une juste idée du degré de haine et de souffrance dont put être atteinte alors une âme jeune et patriotique. Mais d’autre part quel est celui de nous qui a passé sa jeunesse dans l’exil à disputer à la misère une ration de pain exiguë et toute détrempée de ses larmes? Auquel de nos contemporains est-il arrivé de rentrer après vingt ans sur le sol natal pour y trouver le toit de son enfance aux mains d’un possesseur étranger, et chercher en vain dans la sépulture commune des criminels les os dispersés de ses parens? Celui-là seul aurait le droit de condamner trop sévèrement ces émigrés qui, en rentrant en 1815, regardaient à peu près toute la France comme coupable de meurtre et de vol, et en cette qualité obligée à restitution, et trop heureuse qu’on lui fît grâce. La singularité de cette triste époque, c’est que chacun des deux partis croyait avoir les meilleurs motifs de détester l’autre; aussi usaient-ils du droit sans scrupule et en pleine liberté de conscience.

« La douleur, a dit quelque part Mme de Staël en parlant des peines de cœur, fait la blessure, l’amour-propre y verse le venin. » Cela fut exactement vrai des maux de la France en 1815. La nation était blessée par le fer étranger. Une série de maladresses et d’impertinences, des rivalités assez sottes entre les vanités du nouveau régime et les prétentions surannées de l’ancien, vinrent enflammer cette plaie saignante, que cherchait en vain à panser le chef éclairé de la maison de Bourbon, et il en résulta en peu de temps une de ces irritations nerveuses, pires que les plus grands maux, qui mettent hors de sens les cerveaux les mieux constitués. Une haine violente, non-seulement de l’ancien régime, mais de son ombre et de son souvenir, une crainte de le voir renaître à peu près aussi raisonnable que la peur des revenans, des rêves constans de victoire, de vengeance et de conquêtes, et de plus l’idée préconçue que toute diplomatie pacifique est incompatible avec l’honneur français, tels furent les sentimens qui s’emparèrent de toute la jeunesse libérale, et qu’on pourrait appeler la maladie de 1815. Elle survécut très longtemps aux causes qui l’avaient produite, et j’en ai retrouvé des traces et comme des accès chez les esprits les plus posés, et qui s’en croyaient le mieux guéris. Personne n’en fut plus imprégné