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même fréquemment qu’il a en lui certaines affinités mystérieuses avec ces types remarquables : tantôt il est doublé d’un poète, tantôt les circonstances de la vie courbent son âme orgueilleuse dans la pénitence et la prière, plus fréquemment il est capable d’une vaillance intrépide qui est proche parente de l’héroïsme, si elle n’est pas l’héroïsme lui-même. La brillante histoire des dandies, de leurs erreurs et de leurs succès, de leurs crimes et de leurs conversions, depuis Alcibiade jusqu’à lord Byron, compose un des chapitres les plus intéressans des annales morales de l’homme. Nous leur devons quelques belles choses, beaucoup de mauvaises, et pas une seule de bonne, car l’élément diabolique de leur nature est tellement puissant qu’il résiste même au repentir et à la conversion, et qu’il infecte toutes leurs œuvres. Ils ont gagné quelques batailles, pris part à quelques révolutions importantes, amené la chute d’un certain nombre de gouvernemens, servi cruellement certaines réactions politiques, aidé à faire quelques coups d’état, et opéré un assez bon nombre de coups de main. Ils ont fourni à la littérature les types de don Juan et de Lovelace, et nous leur devons Childe Harold et Lara. Je dois dire encore que si nous y regardions de très près, et avec un bon microscope moral, nous découvririons peut-être que nous leur sommes redevables du monastère de la Trappe, et, chose plus importante par ses conséquences historiques, de l’institut des jésuites lui-même. C’est donc un type d’homme remarquable, quoi qu’on puisse penser; en tout cas, il n’en est pas de plus détestable. Une nature de dandy bien accusée est la quintessence, l’élixir superflu de l’immoralité; il n’en est pas sur laquelle le péché originel ait laissé une empreinte aussi profonde. Vous ne pouvez rien imaginer qui soit plus loin, je ne dirai pas des sentimens chrétiens, mais des sentimens les plus simples de la commune humanité. La faculté maîtresse de ce caractère est l’orgueil, non pas cet orgueil raisonné, préservatif de la dignité morale, qui mérite presque le nom de vertu, mais un orgueil instinctif, comme la cruauté du tigre, la majesté du lion. Cet orgueil instinctif engendre un égoïsme tellement puissant que rien ne peut le vaincre et l’amollir, ni la pitié, ni le remords, ni le spectacle de la souffrance, ni l’exemple de la charité et du dévouement, ni l’admiration des grandes choses, rien, si ce n’est pourtant les coups de la destinée. Cette nature, qui ne peut être émue par rien de ce qui est humain, ne sait pas résister au malheur. Lorsque la bête fauve, qui tout à l’heure s’élançait sur sa proie d’un bond superbe, avec un rugissement de plaisir féroce, se sent atteinte à mort, elle remplit de ses plaintes la forêt entière, et, se cachant comme de honte, cherche pour mourir le fourré le plus épais. Ainsi du véritable dandy. Tant