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crime comme trop bruyant, la passion comme trop turbulente, la haine comme trop grossière, au moins dans leurs manifestations extérieures. Nous avons donc proscrit tout cela, non comme mauvais, mais comme ridicule, et nous partageons l’avis de ce brave voltairien qui disait si agréablement : « Le parricide n’est pas seulement un crime, c’est aussi une preuve de mauvais goût. » L’auteur, toutes réflexions faites, applaudit à ce progrès. « Après tout, dit-il, il y a dans la vie plus de sécurité, et il vaut mieux qu’il en soit ainsi. Lorsque j’achète une paire de gants, je suis heureux de savoir qu’ils ne sont pas empoisonnés, et lorsqu’on me présente une rose, je n’ai plus à craindre d’en respirer le parfum. Vous figurez-vous quel plaisant spectacle ce serait que de voir, au milieu d’un dîner, votre convive tomber subitement la face noire et les membres contractés? » Il y a du vrai dans ces réflexions; cependant je doute que ce progrès soit aussi important que le croit l’auteur. Les dangers qui menacent l’individu ont changé de formes, comme les passions qui l’agitent, et voilà tout. Gulliver poussa des cris effroyables lorsqu’il se vit entre les dents du bambin gigantesque de Brobdingnac; mais sa vie se trouva fort en danger aussi le jour où, se réveillant, il se sentit cloué en terre par sa chevelure, et se vit en butte aux flèches des Lilliputiens. Nous ne tuons plus notre ennemi, mais nous l’aidons à se casser le cou, et s’il tombe à l’eau, nous nous gardons bien d’appeler au secours. Et puis il y a une considération qui a son importance pour les dileltanti et les littérateurs, c’est que le crime est un des élémens nécessaires des beaux-arts, et que par conséquent les artistes ne doivent pas trop s’applaudir des formes mesquines qu’il revêt de notre temps. Les querelles sanglantes des Capulets et des Montaigus, la tragédie des Cenci, les poisons des Borgia et des Médicis nous paraîtraient de fort mauvais goût aujourd’hui; cependant les poètes en ont tiré la matière de beaux drames. Avec les passions sauvages de nos pères, on pouvait faire de belles œuvres poétiques; avec nos passions hypocrites, c’est à peine si on parvient à faire des romans supportables.

Les personnages de Guy Livingstone sont tous sans exception ce qu’on appelle des dandies. Il ne faut pas entendre précisément par ce mot ce qu’on entend chez nous par hommes à la mode ou hommes à succès, encore moins ces insignifiantes poupées masculines, esclaves d’un tailleur ou d’un bottier, que le vif argot parisien a baptisés de tout autres noms. Ce sont des dandies non-seulement dans l’acception mondaine, mais, si j’ose m’exprimer ainsi, dans l’acception philosophique de ce mot. Il ne faudrait pas croire en effet que le dandy soit essentiellement un produit de la société; non : le dandy existe dans la nature comme le saint, le poète et le héros. Il arrive