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de cette brillante capture. Il est ainsi devenu possesseur de deux sabres dont l’un porte gravé sur sa lame le nom de Nadir-Shah, et l’autre le cachet de Jehan-Ghir. Le commandant compte en faire hommage à la reine. »


L’expédition qui suivit celle-ci, et qui devait se terminer d’une manière si tragique, a été racontée par un témoin oculaire, le lieutenant Macdowell, commandant en second des Hodson’s-houses. Les émotions de la journée se reflètent trop bien dans son récit pour qu’il ne perdît pas à être simplement analysé. Il vaut mieux le donner par extraits.


« Le 21 septembre, billet de Hodson : Accourez au plus vite. Amenez cent hommes. Je pars aussitôt. Il était six heures du matin... Rendu auprès de lui, il me raconte que les trois princes, ceux qu’on appelait les shahzadahs (fils du roi), les chefs de la rébellion, étaient retirés dans un tombeau impérial, à quelque six milles, qu’il veut les aller prendre, et qu’il m’offre de l’accompagner. N’était-ce pas bien obligeant à lui? Jugez si je refusai. Nous partîmes à huit heures, et, sans hâter le pas, nous nous dirigeâmes vers ce palais funéraire, immense édifice, qu’on appelle le tombeau de Humayoun. Là étaient en effet les princes avec environ trois mille musulmans de leur suite. Dans le faubourg voisin, il y en avait encore à peu près trois mille autres, et tous armés, ce qui rendait l’affaire assez scabreuse. Faisant halte à un demi-mille de l’endroit, nous envoyâmes sommer les princes de se rendre sans conditions, sous peine de toutes les conséquences que pourrait amener leur refus. Une bonne demi-heure s’écoula, et le temps me paraissait long; puis un messager nous arriva qui demandait de la part des princes si, quittant leur asile, ils pouvaient compter sur la vie sauve. « Se rendre à discrétion » fut toute la réponse. Nous attendîmes encore. C’étaient des momens d’anxiété. Une tentative pour les enlever de vive force eût tout perdu, et nous doutions fort qu’ils se décidassent à venir. Nous entendions les clameurs des fanatiques qui (nous le sûmes plus tard) suppliaient les princes de les conduire contre nous. Or nous n’avions que cent hommes, et nous étions à six milles de Delhi. Enfin, s’imaginant, à ce que je suppose, que tôt ou tard ils tomberaient en nos mains, ils prirent le parti de se rendre sans conditions. « Puisque nous avions épargné le roi, nous les épargnerions peut-être aussi, » se disaient-ils sans doute. Un messager vint nous instruire du parti auquel ils s’arrêtaient. Nous envoyâmes des hommes à leur rencontre, et, par ordre du commandant, je portai la troupe en travers de la route, pour les recevoir au besoin et les fusiller sans miséricorde, si on essayait de nous les arracher. Il parurent bientôt dans un petit ruth, ou chariot indien, attelé de bœufs, cinq de nos cavaliers marchant à leur droite, cinq à leur gauche. Derrière eux se pressaient (sans la moindre exagération) de deux à trois mille musulmans. Hodson et moi nous allâmes à leur rencontre, nos hommes demeurant un peu en arrière. Ils saluèrent dès que nous arrivâmes près d’eux, et Hodson, leur rendant le salut, commanda au conducteur d’avancer. Nous touchions au moment décisif. La foule, derrière eux, fit un mouvement. Hodson lui fit signe de reculer. J’appelai du sabre notre escadron, qui s’avança aussitôt et vint se placer à l’arrière du chariot, entre les princes et la multitude. Puis, Hodson m’en ayant