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bévues sont toute à sa charge. D’obstacles, il n’en saurait être question. Ce mot-là, dans l’Inde, n’est plus anglais; du moins est-ce la manière de voir du colonel Lawrence. A toutes les observations de son jeune subordonné, il n’a qu’une réponse, toujours invariable : « Faites selon vos lumières, prenez le parti que vous jugerez le meilleur. Je vous ai donné carte blanche pour agir en mon nom. Vous pouvez tirer sur ma caisse. Cela doit vous suffire. »

L’asile finit par s’élever dans ces conditions étranges. A peine les murs sont-ils séchés qu’il se peuple, et l’asile n’a pas encore de directeur. En attendant qu’il en vienne un d’Angleterre, Hodson en fera les fonctions. L’ancien prœpostor de Rugby n’est pas absolument novice en ces matières, et s’il n’y avait que des garçons à conduire, il y trouverait peu d’embarras; mais vient un moment où le lieutenant et ses vingt-six ans sont requis de diriger quatorze petites filles, la plupart en bas âge, et de faire régner l’ordre parmi les femmes attachées au service de ces enfans. Peu à peu, comme tout créateur, Hodson prend goût à ce travail opiniâtre, dont il attend les meilleurs résultats, non pour lui, — Dieu merci, l’ingratitude publique lui est connue, — mais pour ce qu’on pourrait appeler « l’intérêt anglais » dans l’Inde. Les enfans resteront à l’asile jusqu’à dix-huit ans. Les garçons, pour la plupart, seront soldats. Enfin, nourris, élevés dans ces belles régions de l’Himalaya, on peut espérer qu’ils y reviendront après dix ou quinze ans passés sous le drapeau. Ils s’établiront alors, agriculteurs ou commerçans, autour des différentes stations, dans ces fraîches vallées aux pentes insensibles qu’abritent à diverses hauteurs les chaînes de l’Himalaya. Ils y formeront bientôt le noyau de la première colonie anglaise au sein de la péninsule indienne. En attendant que ces beaux plans se réalisent, il faut que l’établissement vive, et en peu d’années vive par lui-même. Hodson, pénétré de cette vérité, organise une ferme-école à côté de l’asile. Il dessine et plante un beau jardin. Il parle avec orgueil dans ses lettres de ses haricots verts, de ses fraisiers, de ses choux et même de ses pommes de terre (qui n’ont pas la maladie, dit-il entre parenthèse). « Je suis, ajoute-t-il, fort sévère sur la couleur, quand il s’agit d’examiner les candidats à l’admission. Qu’on m’accuse tant qu’on voudra d’un exclusivisme anti-libéral. Ma réponse est bien simple : les demi-castes, les eurasiens supportent trop bien le climat des plaines pour avoir besoin de l’air pur des montagnes. D’ailleurs, en les mêlant aux enfans anglais, vous arrivez à corrompre ceux que vous vous proposiez de rendre meilleurs. »