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toute cette force parfaitement compacte, grâce aux liens étroits de la discipline, parlent à ses instincts, à la fois guerriers et organisateurs, comme une strophe à l’âme du poète, comme une symphonie à l’oreille du musicien. La lettre où il consigne ses impressions est du 2 décembre 1845; celle qui la suit est du jour de Noël. Vingt-trois jours se sont écoulés. Dans ce court intervalle, le novice officier a déjà pris part à quatre affaires, affaires sérieuses et sanglantes, car les troupes formées par Runjeet-Singh ne ressemblaient en rien à ces lâches troupeaux hindous que chassaient jadis devant eux les soldats de Clive ou de Dupleix. L’artillerie des Sikhs, dans ces premiers combats de la campagne de 1845, terrifiait les pauvres cipayes de la compagnie, et pour les mener au feu quoi qu’ils en eussent, les officiers étaient obligés de les y devancer. L’état-major fit des pertes énormes. Le premier boulet dirigé sur le 2e de grenadiers abattit à côté de Hodson un des soldats qu’il commandait; lui-même faillit être tué par un cipaye épouvanté qui tirait au hasard derrière lui. « Nous étions, dit-il, vingt yards, quelquefois à dix, de trois canons qui nous envoyaient leur mitraille, et, ce qui valait encore moins, dans les buissons épais dont le terrain était couvert, des tireurs de choix étaient abrités, qui, sans que nous pussions les voir, nous canardaient à leur aise. »

Cependant la journée était restée aux Anglais, et cela juste au moment où les munitions allaient manquer. Ce fut une victoire décisive que celle de Modkee : la grande armée sikhe dispersée après trente-six heures de combat, son artillerie détruite, cent canons pris à la baïonnette, le tout au moment où, en-deçà du Sutledge, ses étapes vers Delhi étaient assurées d’avance, sans que les chefs de l’administration anglaise eussent connaissance de ce détail significatif. Ainsi le dit Hodson, et il ajoute : « L’Inde septentrionale était prête, comme toujours, à se soulever en masse contre nous d’une heure à l’autre. » Pour lui, rien ne manquait à sa joie : il était resté, lui trentième, autour du drapeau, sous le feu des batteries ennemies. Il avait reçu une balle au-dessous du genou, laquelle, épargnant l’os, n’avait déchiré que les chairs. Un obus, éclatant à quelques pas derrière lui, avait tué plusieurs de ses camarades et l’avait jeté par terre; il était tombé une seconde fois, abattu par l’explosion d’une mine ou d’un magasin à poudre. Bref, il avait reçu le baptême du sang; il se sentait bon soldat, et sa vie désormais avait un but.

Au milieu de cet enchantement, il a pourtant ses ennuis, ses déceptions. Il s’en explique, dès le 22 janvier 1846, avec l’un de ses chefs, a Sans me permettre, soldat novice que je suis, la moindre critique contre mes supérieurs, je puis en particulier, je le crois, vous dire l’extrême désappointement que me cause l’état actuel des