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«Entouré d’une bande noire ou couleur de rose, tantôt content de toi-même et tantôt affligé, mais par bonheur pour toi toujours dans un voile de silence et seul, tu parcours ton vieux ciel, blanc petit nuage!

« Et si jamais ici-bas les pleurs ou les rires te suivent, tu n’en sais rien, tu passes, sans changer de visage, sinon quand les rayons de Phébus t’envahissent et te parent de bandes d’or, ou quand tu t’évapores en perles de rosée, errant petit nuage !

« Et personne par toi ne peut se dire misérable ni heureux, errante petite vierge d’un monde fantastique ; sinon peut-être que quelques-uns pleurent et se désolent, à qui il est cruel de ne pouvoir mourir comme tu meurs, charmant petit nuage!

« Dans les sphères voûtées, tu meurs, comme tu es né, sans être aperçu. Ainsi puissé-je, moi aussi, goûter comme toi, vivant, l’obscurité, et mort, l’oubli, heureux petit nuage! »


Le lecteur se fera-t-il une idée nette de la pensée du poète? Ce qui s’y révèle le plus clairement, c’est que M. Prati en est encore en 1857 aux désespoirs byroniens, aux aspirations sans motifs vers la mort des génies incompris. Voici encore quelques vers dont le tour est peut-être plus heureux, quoique la pensée n’en soit pas moins obscure. Le titre dévoile bien le goût particulier à M. Prati : le Petit Oiseau mystérieux et le Poète.


« Petit oiseau, si tu veux me fuir et quitter ta cage peinte, petit oiseau, tu dois me dire quel présent tu emportes au loin.

« — Sur la terre désolée, j’emporte avec moi la fleur d’amour.

« — Petit oiseau, c’est un triste présent que tu emportes parmi les vivans! Ne me refuse pas ton pardon, si je ne puis t’ouvrir la cage !

« Cette belle fleur a empoisonné trop de sang innocent!

« Petit oiseau, si tu veux me fuir et chanter ta victoire, petit oiseau, tu dois me dire le présent qu’avec toi tu veux emporter.

« — Jardinier, c’est la fleur de gloire que je veux porter aux Alpes et à la mer!

« — Petit oiseau, c’est un présent superbe que tu ferais à ce beau pays; mais toujours le terrain fut peu favorable, tant à la fleur qu’au jardinier.

« Ne te plains pas de mon impolitesse, si je te retiens prisonnier;

« Petit oiseau, si tu veux me fuir et t’arracher au lâche repos, petit oiseau, tu dois me dire quel présent avec toi sortira.

« — Sur la terre des esclaves, je porte la fleur de liberté!

« — Petit oiseau, c’est un gracieux présent que tu veux offrir à l’homme; mais c’est l’antique usage de l’homme d’immoler qui lui apporte un présent.

« Donateur qui ne comprends rien, mieux vaut pour toi ma prison.

« Petit oiseau, si tu veux me fuir, si tu es résolu à changer de sort, petit oiseau, tu dois me dire si tu gardes une plus belle fleur.

« — Je garde avec moi la fleur de mort, qu’on appelle fleur du ciel.

« — Voici tes liens brisés, quitte tes barreaux et prends ton vol; porte, porte où il te plaît, petit oiseau, tes désirs.