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nouvelle écrite dans le dialecte milanais. Grossi possède admirablement cet idiome; il ne connaît à cet égard d’autre rival que le célèbre Porta. Plus tard il donna une version italienne de son romanesque récit : cette version servit à le propager dans toute la péninsule, elle ne fit pas oublier le texte original. Ildegonde, qui suivit de près, mit le sceau à la réputation de l’auteur : il abandonnait enfin le dialecte milanais, et pouvait déjà passer pour un maître : il y avait longtemps qu’on n’écrivait plus en vers dans un style si simple, si facile, si harmonieux. C’est en effet par l’expression toujours juste et sobre, élégante et vraie, qu’Ildegonde commande surtout l’attention. Les Lombards à la première croisade obtinrent moins de succès. Ce poème, trop vanté à l’avance, — Manzoni lui-même lui avait accordé une mention dans les Fiancés, — fut jugé, à son apparition, fort inférieur à ce qu’on attendait. Trompés par le titre et l’étendue de l’ouvrage, les Italiens y voulurent voir un poème épique, et convaincus qu’après le Tasse l’épopée de la première croisade n’était plus à refaire, ils l’accueillirent avec une sévérité excessive. Grossi n’avait voulu écrire qu’un roman historique en vers, ou plus simplement un épisode. Lombard, il voulait faire la part de ses compatriotes dans la première croisade. Son erreur fut de croire que leur rôle, un peu effacé dans ce grand drame, se prêtait à une heureuse alliance de la poésie sans merveilleux et de l’histoire sans altération grave, et qu’on pouvait suivre la même route que le Tasse sans encourir le reproche de plagiat, ou du moins sans provoquer de dangereuses comparaisons. Avec plus d’impartialité, les Italiens lui auraient su gré de ses progrès évidens dans l’art du style; ils auraient tenu compte des descriptions si pittoresques et si variées, des analyses de sentiment si fines et si délicates, du pathétique enfin de certaines situations.

Découragé par les rigueurs de la critique, Grossi s’enferma dans un silence absolu, résigné de très bonne foi à ne plus se croire poète. Si, huit ans plus tard (1834), il donna signe de vie, ce fut par un roman en prose, Marco Visconti, dont il a été question ici même, à propos des romanciers italiens[1]. Le succès de ce récit lui rendit le courage : en 1837, il revenait aux vers, sa langue favorite, et publiait une dernière nouvelle, Ulrico e Lida. Ce poème, le meilleur qui soit sorti de sa plume après la Prinéide, passa presque inaperçu. On le regarda comme inférieur à Ildegonde et à la Fugitive. Nous ne pouvons vraiment partager sur ce point l’opinion du public italien. Il faut écarter tout d’abord la Fugitive, qui appartient à la littérature provinciale et au dialecte du Milanais. Reste

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1854.