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« Entre esclaves et tyrans, point d’autre pacte que la colère ! Ces perfides ont forcé à se nourrir de haine jusqu’à l’âme des vierges, créée pour l’amour !

« Et, les cheveux épars, étendue sur son lit, elle fond en larmes, comme ayant perdu toute espérance.

« Serrant sur sa poitrine ses bras tremblans, elle gémit sur un hymen dont personne ne la menace, elle s’effraie de colères que Dieu ne lui envoie pas.

« Infortunée ! L’autel, l’anneau ont disparu, mais elle a toujours devant les yeux ce vilain museau.

« Il est vêtu de blanc, il a le myrte au cimier ; sur les côtés se déroulent le jaune et le noir, couleurs exécrables pour un cœur italien. »


On voit qu’en fait de patriotisme les femmes, chez Berchet, ne le cèdent point aux hommes. L’excès du malheur national ne permet pas en Italie, même au sexe faible, cette sorte d’indifférence dédaigneuse dont chez nous il se pare comme d’une vertu. Berchet comprenait en effet que, la femme étant chargée d’élever l’homme, si elle le nourrissait dès son enfance dans les sentimens du plus pur patriotisme, l’Italie ne resterait pas longtemps esclave. Il soutenait cette noble cause avec une ferveur de conviction qui est la véritable source de son éloquence, et faisait remplir aux femmes ou plutôt à la femme, — car il n’y en a qu’une, toujours la même, dans ses poésies, — un personnage qu’elles n’ont pas accoutumé de jouer. Sans exagérer l’importance de ces poésies fugitives, on peut en aimer la facilité négligée, et croire que les sentimens généreux qui y éclatent à chaque vers ont produit sur les compatriotes de l’auteur le même effet que la goutte d’eau sur le rocher qu’elle creuse à la longue. Berchet est le Béranger de l’Italie, comme Goldoni en est le Molière[1]. Il a eu, comme le poète français, son heure ; il a su conquérir sa place dans la littérature de son. temps. Si la postérité oublie ses vers, son nom du moins ne périra pas, tant qu’il y aura des Italiens jaloux de leur indépendance et de leur liberté.

Thomas Grossi, le disciple bien-aimé de Manzoni, ne peut au contraire que gagner à l’apaisement des luttes politiques. Elevé par son oncle, modeste curé de village en Lombardie, exclu des carrières, civiles en. punition d’une satire dont nous reparlerons, Grossi n’oublia jamais ni les leçons de son enfance ni celles que lui donnait le gouvernement autrichien. Il se tint à l’écart, et s’il fit des vers désormais inoffensifs, ce ne fut que pour occuper ses loisirs forcés et obéir aux fantaisies de son imagination. À la mort de l’empereur

  1. Ajoutons cependant que Giusti peut aussi être compara à Béranger, et qu’il est infiniment supérieur à Berchet. — Voyez sur Giuseppe Giusti l’étude de Gustave Planche dans la Revue du 15 décembre 1850.