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l’élève le plus remarquable sorti de l’école de musique classique fondée en 1816 par Choron, après avoir parcouru avec tant d’éclat la carrière de chanteur dramatique, M. Duprez a fondé à son tour une école spéciale de chant, où il propage avec ardeur les principes de la belle et grande méthode qui a fait sa réputation. Il a groupé autour de lui, rue Rochechouart, un nombre considérable de disciples et de charmantes voix de femmes surtout, qui, par la bonne tenue et le zèle qui les anime, m’ont rappelé les beaux jours de l’école de Choron, qui ne m’a pas vu naître, mais où j’ai reçu la vie, comme dit une vieille chanson. Secondé par Mme Duprez, qui donne à tout ce monde le ton de bonne compagnie qui la distingue, l’artiste éminent se livre à toute sa passion pour l’art qui a fait sa renommée, et dont il s’efforce de restaurer les grandes traditions. On peut sans doute reprocher quelquefois à M. Duprez de trop exiger de l’organe vocal, si fragile de sa nature, et de ne prétendre former que des maréchaux de France, en dédaignant ces détails de pur mécanisme qui soutiennent les faibles, contiennent les superbes et ramènent les égarés, selon la belle parole du psalmiste. M. Duprez ressemble un peu à ces grands capitaines qui aspirent à un but glorieux, sans s’inquiéter de tout ce qu’il en coûtera pour l’atteindre. Quoi qu’il en soit de ces critiques, dont nous nous faisons ici le, rapporteur scrupuleux, les élèves de M. Duprez se distinguent de tous les autres par une qualité rare, qui est le style, par une articulation nette, hardie, et par une belle manière de phraser et d’accentuer la parole.

La séance que M. Duprez a donnée dans la salle de M. Herz, et à laquelle ont pris part cent dix élèves, était divisée en deux parties. Dans la première, nous avons entendu un psaume de Marcello, l’air attribué à Stradella, chanté avec sentiment par le fils de M. Duprez, à qui nous reprocherons pourtant de trop remuer le menton, au lieu de lier les sons au fond de la gorge ; le charmant duo de Clari, qui a été rendu avec grâce et beaucoup d’élégance par Mlles Monrose et Marie Battu. M. Duprez a dit lui-même un cantique : Grâce ! grâce ! que Choron a composé pour lui en 1822, et dans ce morceau plein d’onction, l’artiste a su trouver de beaux accens. Dans la seconde partie, on a particulièrement applaudi l’air des Diamans de la Couronne de M. Auber, chanté par Mlle Marimon avec une bravoure remarquable ; la cavatine de Sémiramis : Bel raggio lusinghiero, que Mlle Battu a dite avec éclat et d’une voix souple et mordante qui a produit un bel effet. La séance s’est terminée par l’Inflammatus du Stabat de Rossini, chanté par six voix de femme avec plus de sonorité et de puissance que de sentiment. Nous sommes peu curieux de pareils tours de force, qui n’ont qu’un mérite purement scolaire. Le public nombreux et choisi qui remplissait la salle a témoigné à M. Duprez la plus vive sympathie pour ses nobles et courageux efforts. L’année, comme on vient de le voir, a été bonne pour la musique classique, qui se répand et pénètre de plus en plus dans l’éducation des classes éclairées, et le public parisien, qui se compose après tout de l’élite de la société française, devient chaque jour plus digne du rôle qu’il remplit en Europe, celui de juge suprême dans les choses de l’art.


P. SCUDO.