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admirable d’un bout à l’autre, aussi piquant par les détails que par l’idée générale, qui est belle et parfaitement claire. Les artistes ont rendu cette composition avec un ensemble et une perfection de nuances qu’ils n’avaient pas encore atteints. M. Maurin surtout nous semble avoir acquis une meilleure qualité de son, un son plus pur et plus nourri tout à la fois. Une pianiste allemande, Mlle Falk, a exécuté à cette même séance la sonate appassionnata en fa mineur de Beethoven avec une grande vigueur et un beau style. Toutes les séances de MM. Maurin et Chevillard ont été suivies par un public chaleureux et sympathique qui s’accroît chaque année. C’est à ces belles matinées musicales de MM. Maurin et Chevillard que nous avions le plaisir de rencontrer souvent Ary Scheffer, grand dilettante, dont le sentiment pieux et touchant révèle le goût passionné qu’il avait pour la belle musique.

Les séances de quatuors instituées il y a quatre ans par MM. Armingaud et Léon Jacquard soutiennent la bonne renommée qu’elles se sont acquise dès l’origine. Le programme, généralement assez varié, nous a présenté à la seconde séance un quatuor pour instrumens à cordes de Robert Schumann, qui ne nous a pas encore réconcilié avec le style pénible et entortillé de ce maître, que l’Allemagne voudrait bien imposer à notre admiration. Il y a pourtant dans ce quatuor quelques parties remarquables, entre autres l’adagio, qui nous a paru ne pas manquer d’un certain sentiment ; mais l’ensemble est d’une grande pauvreté d’idées et d’une harmonie parfois féroce. À la troisième séance, on a exécuté un trio pour piano, violon et violoncelle, de Marschner, qui n’est pas dépourvu d’intérêt, et le beau quatuor en la majeur de Beethoven, que les artistes ont rendu avec chaleur et beaucoup d’ensemble. La quatrième séance a été surtout remarquable par l’exécution d’un quatuor de Schubert en sol majeur, qui n’est pas un chef-d’œuvre, mais d’où il s’exhale quelques accens mélodiques d’un charme tout particulier. En général, les séances de MM. Armingaud et Léon Jacquard, où brille le talent vigoureux du pianiste, M. Lubeck, méritent que la critique ne les perde pas de vue. M. Charles Lebouc, un violoncelliste agréable, aidé de M. Paulin, un chanteur de beaucoup de goût, a donné aussi trois séances de musique classique qu’il serait injuste de passer sous silence. À la seconde soirée, j’y ai entendu un quatuor de Fesca, plein de grâce et de mélodie, qui a été fort bien exécuté, surtout par M. Hermann, qui tenait la partie du premier violon. C’est Mme Mattmann, une artiste d’un talent sérieux et bien connu, qui exécutait la partie de piano aux séances de M. Lebouc. La Société des concerts du Conservatoire, celle des Jeunes Artistes, les séances de quatuors de MM. Alard et Franchomme, Maurin et Chevillard, Armingaud et Jacquard, celles de M. Lebouc et d’autres encore qui se tiennent dans des salons particuliers, prouvent surabondamment que le public parisien n’est pas aussi indifférent à la bonne et grande musique que voudraient le faire croire les compositeurs dédaignés dont il repousse les divagations. Oui, on comprend à Paris et l’on y apprécie les chefs-d’œuvre de Haendel, Haydn, Mozart, Beethoven, Weber, Gluck, Rossini, Palestrina ; mais on n’y admet pas encore la musique de l’avenir, qui n’aura cours en Europe que lorsque le goût syncrétique de la grande cité l’aura admise dans son panthéon. Que l’Allemagne se le tienne pour dit.