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composés des mêmes morceaux et des mêmes noms. Elle n’ose rien entreprendre de hardi, elle est inhospitalière pour les artistes distingués qui traversent Paris, et semble rechercher de préférence les chanteurs médiocres pour faire mieux ressortir la partie instrumentale de son exécution. Pendant que l’Allemagne et l’Angleterre font des excursions dans les œuvres des grands maîtres, la Société des Concerts condamne le public parisien à entendre toujours le même psaume de Marcello, les mêmes morceaux de Haendel, qui a fait vingt et quelques oratorios, les mêmes puérilités historiques, comme l’O Filii de Leisring, tandis qu’on ne chante rien de Palestrina, d’Orlando di Lasso, et surtout de Sébastien Bach, dont les cantates religieuses sont des chefs-d’œuvre dont on pourrait tirer un si grand parti. La Société des Concerts est comme le Conservatoire, où elle tient ses séances, une vieille machine dont les ressorts ont besoin d’être renouvelés.

La Société des Jeunes Artistes, dirigée par M. Pasdeloup, qui ordinairement marche d’un pas si léger sur les traces de la Société des Concerts, n’a pas fourni cette année une carrière très brillante. Ses programmes ont manqué de nouveauté et d’intérêt, et l’exécution des œuvres déjà connues a laissé beaucoup à désirer, même en faisant la part de l’inexpérience de ces jeunes conscrits. Au premier concert, qui a été donné le 16 janvier, nous avons entendu avec plaisir le concerto pour violon et grand orchestre de Mendelssohn, exécuté avec talent et bon goût par M. Sainton, violoniste de l’école française établi à Londres depuis quelques années. La seconde séance a été surtout remarquable par le concerto en ut majeur pour piano et grand orchestre de Beethoven, qui a été rendu avec une précision et une grâce infinie par M. Rosenhain, artiste d’un mérite supérieur, dont nous avons bien souvent cité le nom. Compositeur distingué, virtuose sérieux, M. Rosenhain n’a pas toute la réputation qu’il mérite, parce qu’il dédaigne trop ce que d’autres recherchent avec effronterie, les suffrages d’un public digne de son talent. Les séances de musique de chambre, que MM. Alard et Franchomme donnent depuis douze ans dans la salle Pleyel, ont toujours le privilège d’attirer une foule empressée d’amateurs gourmets. C’est une petite succursale de la société du Conservatoire. À la troisième matinée, j’y ai entendu avec plaisir le trio en ré mineur pour piano, violon et violoncelle, de Mendelssohn, dont le scherzo surtout est ravissant. La partie de piano a été rendue avec infiniment d’élégance et de netteté par M. Francis Planté, dont le talent classique grandit chaque année. Au dernier concert, le 27 mars, on a exécuté avec une perfection rare le quatuor en sol mineur pour piano, violon, alto et violoncelle, de Mozart. Je ne dis rien du talent de MM. Alard et Franchomme, dont la réputation, solidement assise, ne rencontre pas de contradicteurs.

Un intérêt particulier s’attache aux séances de MM. Maurin et Chevillard pour l’exécution des quatuors de Beethoven, qui, dans l’œuvre du maître puissant, forment une œuvre à part. À la première matinée, qui a été donnée le 13 janvier, on a débuté par le quatuor en ut dièze mineur, le quatorzième, qui n’est pas un problème pour nous, et qui ne vaut pas toute la peine qu’on se donne pour le comprendre. C’est obscur, rempli de puérilités prétentieuses qui ne sont pas rachetées par quelques élans sublimes qu’on y rencontre, tandis que le quatuor en mi bémol qu’on a exécuté après est