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ropéenne, systèmes politiques et alliances, tout est discuté, commenté, je ne veux pas dire toujours exactement pesé, dans une multitude de brochures qui se succèdent, — littérature éphémère comme la circonstance, où retentissent les bruits, les préoccupations et les anxiétés du moment. Des brochures, il en vient de toutes parts, de la France, du nord et du midi, de l’Italie et de la Prusse: les unes graves comme des manifestes, les autres passionnées et vibrantes comme la parole de patriotes qui souffrent depuis longtemps et qui ont hâte d’en finir, celles-ci passant la revue du droit public et des traités, celles-là recomposant diplomatiquement la péninsule et le continent européen. Les parlemens à leur tour, là où il y a des parlemens, ont été les organes légaux et libres de cette émotion universelle. Les cabinets eux-mêmes enfin n’ont pas si bien gardé leur secret qu’ils n’aient laissé échapper dans leurs dépêches cette espèce d’animadversion croissante qui se traduit d’ailleurs d’une façon trop visible en armemens précipités. Et de cet amas de faits, de documens, de lumières semblables parfois à des éclairs, que résulte-t-il? Que l’Europe traverse incontestablement une des situations les plus graves qu’elle ait connues depuis quarante ans, entre une série d’incidens qui peuvent conduire à un conflit dont il serait aussi difficile de mesurer les proportions que de fixer le terme — et une négociation qui est le suprême effort de la diplomatie pour retenir une question qui a semblé plus d’une fois près d’échapper à toutes les prévoyances.

C’est là que le monde en est venu en peu de temps, attendant chaque matin sa destinée d’un accident toujours possible sur le Tessin ou d’une médiation laborieuse tentée au nom de l’Europe, spectatrice attentive et inquiète. Malheureusement, dans ce grand débat qui a pour souverain arbitre la conscience des peuples, qui est toujours en suspens et dont un congrès s’est chargé de dire le dernier mot diplomatique, il y a eu dès l’origine et il y a encore des confusions, des malentendus et des méprises de plus d’une sorte, qui, en s’accumulant et en se propageant, ont fini par créer un épais nuage. Et d’abord n’y a-t-il pas un fait étrange qui tendrait à altérer complètement l’essence de la politique, ou qui dénoterait tout au moins une de ces confusions dont je parlais ? C’est ce penchant à tout réduire à une sorte de dilemme préconçu de la paix ou de la guerre, abstraction faite des intérêts moraux qui s’agitent. On ne juge pas les questions en elles-mêmes, on les juge dans leur rapport avec une certaine tranquillité matérielle; suivant qu’on est porté à les envisager dans leur gravité ou à les nier, on est partisan de la guerre ou partisan de la paix, et cette capricieuse distribution des opinions prend toute l’importance d’un fait universellement re-