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Ainsi d’importantes questions se rattachent à l’annexion des communes suburbaines et commandent un sérieux examen, un débat complet et sincère. Il y va d’intérêts individuels tellement nombreux qu’ils s’élèvent pour ainsi dire à la hauteur d’un intérêt public. Au moment où la grande ceinture de défense rêvée par Vauban, exécutée, sachons le rappeler, par le gouvernement de 1830, à la pleine lumière des débats parlementaires et de la libre discussion de la presse, peut devenir la nouvelle enceinte de Paris, d’autres intérêts sollicitent non moins vivement l’attention. Le commerce et l’industrie du pays tout entier ont aussi des réclamations à élever, des réserves à faire contre un envahissement dont le passé n’a point encore offert d’exemple, et que l’annexion, si l’on n’y prend garde, ne tendrait qu’à développer. Il ne s’agit point d’abaisser la prospérité de Paris et d’entraver le mouvement naturel et progressif de son développement; il ne s’agit pas non plus de lui enlever, comme on l’a si bien dit, cette royauté de l’esprit, du goût et de l’art qui a fondé sa supériorité non-seulement sur les autres villes de France, mais sur les capitales des autres états; il s’agit seulement d’arrêter un accroissement anormal, excessif et dangereux, dangereux pour le pays, dangereux pour Paris lui-même. Enfin l’intérêt municipal veut être étudié à son tour, et revendique d’anciennes prérogatives. Qu’on éloigne de Paris les malfaiteurs et les brouillons, que la vigilance de la police maintienne partout le bon ordre et la sécurité, rien de mieux, car les honnêtes gens y trouveront tous leur compte; mais en même temps qu’une population de j, 500, 000 âmes, ayant un budget de 80 millions, ne soit pas condamnée à une humiliante abstention dans ses affaires communales. Est-ce trop demander? Les liens qui rattachent, dans l’histoire de nos institutions, l’Hôtel de Ville au parloir aux bourgeois sont-ils donc rompus et anéantis sans retour? Le temps aurait-il donc changé à ce point et les hommes et les choses? Nous ne pouvons le croire; il nous semble au contraire qu’il y a un puissant moyen d’organisation pour la population active, éclairée, industrieuse et profondément conservatrice de Paris dans une bonne réglementation municipale. Selon nous, il serait douloureux de penser qu’un brevet d’incapacité administrative dût être décerné précisément à la population qui, par l’éclat et les merveilles des lettres, des sciences et des arts, a élevé et sait maintenir la ville de Paris au premier rang dans l’univers; il ne le serait pas moins de voir la grande et illustre capitale entièrement privée d’initiative et de liberté dans le gouvernement de ses affaires, et placée dans nos lois au-dessous de la dernière commune du pays.


JULES LE BERQUIER.