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gens sans aveu, rebut de toutes les professions, se mêlent autant qu’ils le peuvent à ceux qui étaient de véritables travailleurs, et ce sont eux qui font entendre les plus vives clameurs. » La triste expérience de ces derniers temps a démontré la parfaite exactitude de ces observations; on sait qu’il y a dans la population ouvrière de Paris une certaine phalange mobile qui n’atteignait guère que le chiffre de 8,000 têtes en 1851. Quelques-uns de ces ouvriers viennent faire un séjour passager: ils cherchent à recueillir des salaires avec l’espoir de remporter des épargnes, ils n’ont point avec eux de famille et sont peu nombreux; mais d’autres viennent cacher, en se perdant dans la foule, de mauvais instincts ou de fâcheux antécédens. Ce mode incessant de recrutement de la population parisienne, selon la chambre de commerce, est un des grands obstacles que rencontre le perfectionnement moral des travailleurs. Et cependant que de progrès se sont accomplis déjà dans l’éducation morale de la classe ouvrière de Paris ! Quel contraste entre cette partie de la population et celle des principales villes de l’Angleterre ! Parcourez les faubourgs de Paris un jour de repos; toujours vous y verrez l’ouvrier convenablement tenu, toujours aussi vous le trouverez poli, empressé dans les mille petits services qu’on se doit à tout instant dans une grande ville. Il faut heureusement ranger dans une catégorie restreinte parmi les ouvriers les hommes grossiers et entièrement dépravés. Il y a d’un côté les hommes rangés et ayant une vie de famille, il y a de l’autre les ouvriers imprévoyans, qui dépensent follement leur salaire et sont ensuite dépourvus de ressources lorsque viennent les mauvais jours; mais, même parmi ces derniers, il y a bien des distinctions à faire, et de nombreux degrés séparent encore l’imprévoyance de l’abrutissement, de l’immoralité et surtout du crime. Nulle part on ne trouverait à faire dans Paris de ces peintures hideuses dont les bas quartiers de Liverpool et de Manchester ont été le sujet, et qui attestent tout à la fois la brutalité morale et physique du peuple dans ces grands centres manufacturiers. Il y a d’ailleurs dans la superposition des rangs de la population parisienne cette étroite cohésion qui rapproche le haut et le bas de la société : tout patron a été ouvrier, tout commerçant a été commis; les plus riches sont ceux-là précisément qui sont partis de plus bas; les plus estimés et les plus influens sont ceux qui n’ont point oublié leur modeste origine. De là cette espèce de solidarité entre le magasin et l’atelier, de là cette mutuelle estime entre celui qui commande aujourd’hui et celui qui pourra commander demain. En 1848, dans les plus mauvais jours, plus d’un chef d’atelier a su contenir ses ouvriers et les enlever aux barricades par le seul ascendant de sa paternelle et bienfaisante autorité.

Il existe à Paris 334,000 ouvriers sédentaires, et l’on s’est de-