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avec une préoccupation de plus à l’endroit des intérêts généraux du pays. On voit que 1789 approche, les idées économiques s’élèvent et généralisent les faits; bientôt, désignant les mêmes choses par d’autres mots, on parlera de la centralisation et de ses excès, et là sera la formule du langage moderne. La centralisation normale ou excessive se révèle avant tout par la population; pour saisir son caractère et ses causes, pour mesurer, autant qu’il est donné de le faire, ses conséquences immédiates ou lointaines, en un mot le bien ou le mal dont elle peut être la source, il est donc nécessaire de l’étudier dans l’état et dans le mouvement de la population.

Les 1,100,000 habitans qui vivent actuellement sur le sol parisien peuvent se diviser en deux grandes parts : (500,000 environ demandent leurs moyens d’existence à l’industrie proprement dite; les 500,000 autres composent la classe des commerçans de tout ordre, des propriétaires ou rentiers, des hommes voués aux carrières libérales, des fonctionnaires, le clergé, les domestiques, le personnel des hospices, des établissemens de bienfaisance et des prisons. Tel est, à peu de chose près, le classement qu’il est permis de faire d’après le dernier recensement de la population et la remarquable enquête de la chambre de commerce sur l’industrie de Paris. On compte dans l’industrie 342,000 ouvriers environ; on a fait le calcul de la rétribution journalière de ces ouvriers. Si l’on retranche de leur nombre les apprentis, on trouve que 205,000 hommes ne gagnent que 2 fr. 49 cent, par jour, et que le salaire de 113,000 femmes ne dépasse pas 1 fr. 7 cent. « Sur un nombre aussi considérable de travailleurs, dit l’enquête de la chambre de commerce, une population dont les principaux traits de caractère sont une grande vivacité d’esprit, une remarquable facilité à s’emparer d’idées nouvelles, un goût prononcé pour le plaisir, une énergie de travail plutôt instantanée que persévérante, et l’habitude de l’épargne encore peu développée, l’effet des commotions politiques est prodigieux et amène les conséquences les plus graves. Dans les crises commerciales et industrielles qui se prononcent de temps à autre à des époques plus ou moins rapprochées, le ralentissement des affaires est graduel, il est bien rare même qu’il s’étende sur toutes les branches d’industrie à la fois; le mal est le plus souvent partiel. Il n’en est pas ainsi lorsqu’un événement politique arrive, lorsqu’une révolution éclate : alors tout s’arrête à la fois, la tâche commencée ne s’achève pas, et tout semble mis en question quant à l’existence même des travailleurs. Une aspiration générale vers un bien-être imaginaire s’empare alors facilement des esprits : les uns se laissent entraîner par des idées généreuses en apparence et par des paroles sonores, d’autres ne demandaient qu’un prétexte pour rester oisifs, tous abandonnent le travail. Des