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dans les expositions agricoles, nous avons vu une honnête musulmane à demi voilée venir, à travers la foule, appuyée sur le bras de son mari, recevoir sa médaille des mains du préfet, aux applaudissemens sympathiques de toute l’assemblée. L’influence d’un muphti tolérant et d’un propriétaire intelligent avait obtenu ce succès, qui se répétera aussi souvent que l’on voudra.

En outre, l’administration devrait encourager un peu moins les parades, les fêtes équestres, qui, en faisant briller le cavalier arabe, entretiennent ses goûts militaires et oisifs; elle ferait sagement de réserver la meilleure part de ses faveurs aux concours de charrues, de déclarer aux chefs que leurs succès dans les expositions agricoles, dont ils s’abstiennent tous, ont autant de prix à ses yeux que les prouesses de leurs chevaux dans les courses annuelles. Des rapports complaisans ont fait beaucoup de bruit de l’éducation agricole et industrielle des tribus par l’action gouvernementale ; on a célébré un troupeau-modèle établi à Laghouat aux frais de l’état, quelques distributions çà et là de faux, même de cisailles pour tondre les moutons. On a vanté encore la docilité des indigènes pour les plantations, pour l’horticulture. Malheureusement le don et la leçon d’un jour sont oubliés le lendemain dans un milieu qui les repousse par une résistance instinctive à toute nouveauté : c’est le milieu lui-même qui doit être modifié par la libre pénétration de l’émigration européenne, dont les procédés, pratiqués avec persistance sous les yeux de tous, seront le seul enseignement efficace.

De ce mélange intime et quotidien des populations naîtrait, espérons-nous, un progrès final qui serait la consécration de tous les autres, qui avancerait immensément la fusion, ou plutôt qui serait la fusion même. Nous voulons parler, on le devine, des alliances de sang entre les deux races. Dans tous les pays conquis, les mariages mixtes ont été le sceau de la conquête et la vraie source de l’unité nationale, et sans cette conclusion on y prétendrait vainement en Algérie. Il y en a déjà quelques exemples, et ils eussent été plus nombreux, si l’esprit français, prompt à saisir le côté plaisant plutôt que le côté utile des situations neuves, n’eût lancé contre les mariages de ce genre des railleries auxquelles les représentans de l’autorité n’ont opposé aucun signe de désapprobation. La politique ne saurait pourtant rien imaginer de plus conforme à ses vues, et elle ne se heurterait pas contre d’invincibles obstacles. La femme européenne séduit le musulman par le charme de ses grâces et de son esprit, et facilement elle acquiert sur lui un grand empire, ce qui la dispense de toute apostasie et même du voile en public, lequel n’est au surplus qu’une coutume locale, et non une prescription légale ou religieuse. Le mariage devant l’officier de l’état civil suffi-