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traire. L’impôt est perçu par les chefs indigènes, lesquels en gardent le dixième pour leur salaire, proportion exorbitante, qui est, de notoriété publique, plus que doublée par les exactions de toute nature auxquelles ils se livrent sans craindre le contrôle plus nominal que réel des bureaux arabes. Les exemptions de faveur aggravent encore le fardeau de ceux qui paient, et des corvées s’y joignent, nombreuses et onéreuses. On couperait court à toutes ces iniquités en y substituant l’impôt proportionnel aux surfaces, comme en tout pays honnêtement administré, en adjoignant, pour l’établissement des rôles, aux chefs indigènes et aux bureaux arabes des employés des contributions familiers avec ce genre de travail, en prescrivant en outre le paiement individuel et direct dans les caisses des receveurs publics. L’intervention des chefs, ainsi dégagée de tout prélèvement personnel que remplacerait un traitement fixe, ne contrarierait plus un des grands principes dont la politique française doit toujours s’inspirer en Algérie, l’abaissement de l’aristocratie musulmane au profit des masses populaires et de notre autorité. L’impôt arabe produit aujourd’hui environ quinze millions au trésor, sans compter les centimes additionnels, dont l’emploi est réservé à des travaux publics utiles aux tribus. Avec les changemens proposés au nom de la justice et de l’économie, ce chiffre monterait probablement à une vingtaine de millions, tout en abaissant la quote-part contributive de chacun au-dessous de ses charges actuelles. Pour une population de deux millions trois cent mille âmes, on aurait à prélever moins de 10 fr. par tête, et environ 12 ou 15 fr. en y joignant la part des indigènes sur les autres sources de revenus publics. De tels chiffres attestent la modération de ce qu’on appelle le joug de la France et en même temps la faible valeur de l’Arabe comme contribuable et consommateur aussi bien que comme producteur sous le régime de la propriété collective des tribus. Dans les oasis du Sahara, rien ne serait à changer dans le régime de l’impôt, qui est unique et assis sur le nombre de palmiers cultivés, c’est-à-dire sur l’entier capital et l’entier revenu : beau idéal de l’économie politique, qui est un rêve en Europe et depuis des siècles une réalité dans cette partie de l’Afrique.

Notre plan de conduite atteindrait, après les institutions, les mœurs publiques. La première condition en doit être recherchée dans l’introduction des femmes arabes au sein de la société française. La résistance des maris n’est pas aussi absolue qu’on l’imagine. Dans tous les bals des hauts fonctionnaires, ils laissent leurs femmes se glisser dans les galeries et assister immobiles au spectacle. Un pas de plus, et elles s’y mêleront, voilées d’abord, en attendant que le voile tombe à demi, puis tout à fait. A Oran, dans une fête publique pour la distribution des récompenses gagnées