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sens : des barbares qui ne savent pas faucher ne peuvent amasser des provisions de fourrages pour nourrir le bétail dans la mauvaise saison; le vagabondage du parcours sur de vastes espaces devient la loi fatale de leur existence. Le cercle de ce parcours s’étend en raison directe de la rareté des pacages et des eaux : il est borné dans le Tell par les chaînes de l’Atlas; il est immense sur les hauts plateaux et le Sahara. Assurez la paix, enseignez à récolter des fourrages, à creuser des puits, et la tribu devient stable sur le sol, sans renoncer toutefois absolument à la tente, qui a bien son prix pour le libre choix du séjour selon la saison et les cultures.

La tribu est ainsi conduite, par une évolution toute bienfaisante, à recevoir une première transformation qui s’exprime par le cantonnement, c’est-à-dire par l’échange d’une partie des vastes terrains incultes et dépeuplés où elle promène ses troupeaux contre une étendue plus restreinte, mais concédée en toute propriété. Dans ces termes, le principe du cantonnement et le droit de l’exercer sont aujourd’hui mis hors de contestation en théorie comme en pratique; ils impliquent la réserve expresse que tout titre antérieur de propriété, dressé suivant la loi musulmane, sera scrupuleusement respecté. Même dans les cas les plus légitimes de cantonnement, l’opération sera adoucie par des compensations, au nombre desquelles le partage du territoire de la tribu entre toutes les familles doit être mis au premier rang. A défaut de ce complément, une sourde irritation survivrait dans les cœurs, car le resserrement, avec quelque intelligente modération qu’il soit pratiqué, blesserait l’intérêt de la tribu en lui enlevant une part de ses terres, sans accorder à ses membres aucun droit nouveau tant que le territoire reste indivis : ce serait toujours la communauté, mais sur une moindre échelle.

Il est encore une indemnité que beaucoup de tribus ou de tentes accepteraient volontiers : nous voulons parler de la concession des villages et des terrains vacans dans les oasis sahariennes. Là d’immenses espaces sont libres, à la disposition de la France; beaucoup d’Arabes, à qui les horizons lointains du désert n’inspirent pas la même répugnance qu’aux Français, s’y transplanteront volontiers, à la condition expresse de n’être pas forcés directement ou indirectement à cette émigration, comme certains publicistes, qui interprétaient mal d’antiques exemples, le proposaient à l’égard des Kabyles. Que ceux qui ne peuvent s’accommoder à aucun prix du voisinage de la civilisation rejoignent librement dans les oasis, sous l’ombrage des palmiers, les Berbères leurs frères, nous n’y voyons aucun inconvénient, tandis qu’une transportation, déguisant mal un refoulement brutal, pourrait susciter les plus justes colères.

À ce grand coup porté par la propriété individuelle à la tribu, foyer