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tions étaient si accréditées, que le comte Balbo ayant prié M. de Cavour de venir conférer avec lui sur la marche que devait suivre le ministère Balbo-Revel, M. de Cavour jugea prudent de se refuser à cette entrevue. Au fond, si l’opinion avait tort dans ses soupçons, elle avait raison dans ses défiances, et il faut bien reconnaître que les choses n’étaient pas aussi faciles et aussi nettes que ces deux hommes étaient droits et loyaux.

Se rapprocher du pape en effet, c’était, malgré tout le bon vouloir imaginable, entrer en pleine réaction et renoncer à la liberté et à la possibilité de l’indépendance, car le pape considérait la liberté et l’indépendance comme deux moyens de détruire son pouvoir temporel, et rien ne pouvait lui enlever cette conviction. Balbo espérait maintenir un parallélisme pacifique entre l’absolutisme austro-romain et la constitution piémontaise : c’était le propre de cette excellente nature de toujours juger témérairement par charité; il n’était pourtant pas douteux que l’accord ne pouvait s’établir que sur une réduction du statut à l’état de lettre morte. L’Italie est un grand corps dont l’unité est profondément sentie par tous les membres qui la composent; nulle partie ne s’y peut isoler des autres, et, Balbo l’a dit, il faut que la monarchie représentative finisse par y triompher partout, ou par disparaître du territoire entier. Des régimes contraires n’y peuvent vivre en paix côte à côte. Cela étant donné, se pouvait-il rien de plus chimérique en 1852 que l’espérance de ramener le pape, retombé sous l’influence de l’Autriche et des congrégations, à quelque bienveillance pour les libertés représentatives instituées si près de lui? Pouvait-on sérieusement combiner une nouvelle fusion de l’église de Rome avec les libéraux? L’impossibilité d’un accommodement pareil explique les défiances qui planèrent alors sur Balbo, soupçonné de préférer à la liberté l’alliance du pape. Et d’ailleurs, quel que fut son attachement aux principes constitutionnels, du moment où il était également attaché à une institution contraire, les ménagemens qu’il avait coutume de garder en toute circonstance douteuse devaient cette fois le condamner à une inaction absolue. Or il fallait de l’énergie et de la décision pour faire entrer définitivement le pays dans la voie constitutionnelle où il était à peine engagé.

Non-seulement César Balbo n’était pas l’homme de la situation, mais son passé, si méritoire pourtant, lui faisait quelque tort. Il éprouvait lui-même le sort qui avait poursuivi son roi jusqu’à la tombe; il était méconnu. De même que le parti rétrograde avait traité Charles-Albert de révolutionnaire ambitieux, la niaiserie populaire classait César Balbo parmi les ennemis de la liberté. Sa naïve et sublime confiance dans le pape lui avait fait une situation