Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/903

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le mal, ils le sont aussi pour le bien. Leur commandement est plus ferme, leur prestige plus imposant, l’obéissance à leurs ordres plus immédiate. La sécurité de l’existence qu’assure son grade à tout officier, son respect pour l’épaulette qu’il porte, garantissent souvent mieux que l’uniforme civil la dignité de la fonction, et il n’est pas rare que la maturité de l’esprit supplée avec avantage à un noviciat dans les bureaux, qui manque d’ailleurs à beaucoup d’élus de l’administration civile. Ceux-ci, quoi qu’on en dise, n’ont pas à un moindre degré que les officiers le goût du pouvoir absolu, ce fruit défendu en un temps de civilisation. Toute liberté les offusque, toute résistance les irrite à peu près au même degré. La supériorité du régime civil est toute dans une plus forte dose d’émancipation et de garanties pour les individus. Si les administrés ne sont pas plus heureux, ils courent de moindres risques d’oppression. La juridiction des tribunaux ordinaires, succédant à celle des commandans de place et des conseils de guerre, constitue un progrès capital. Les officiers ne sont d’ailleurs que rarement dans la disposition d’esprit qui convient pour la colonisation. Leur intérêt ne les porte pas à se vouer à cette occupation, regardée comme incidente et accessoire, avec l’ardeur qui assure le succès, et le plus souvent le colon les irrite par ses prétentions et son indocilité, tandis que l’Arabe les enchante par sa soumission absolue. Le fonctionnaire civil a l’évident avantage de n’avoir d’autre champ d’activité que la colonisation et de pouvoir s’y vouer sans regret et sans arrière-pensée. Pour résumer la comparaison en une ligne, disons que l’esprit civil est supérieur, dans les œuvres de paix, de production et de commerce, à l’esprit militaire. Tel est son vrai titre au gouvernement de l’Algérie.

Les conseils-généraux, promis dès 1848[1] et restés pendant dix ans à l’état de lettre morte, ont été pour chaque province le gage le plus important des intentions libérales d’une nouvelle administration. Dotés d’attributions analogues à celles des conseils de France, ils règlent et contrôlent l’emploi des finances provinciales, et ont, comme ceux-ci, le droit d’adresser des vœux au gouvernement. Par un trait distinctif et qui caractérise bien l’état complexe de l’Algérie, leur mandat embrasse le territoire militaire aussi bien que le territoire civil, et les généraux, en tant qu’administrateurs d’intérêts civils, ont à compter avec eux aussi bien que les préfets : situation vraiment neuve, et à laquelle se sont prêtés les commandans des trois provinces avec une bonne grâce qui a rehaussé leur incontestable compétence. Dans l’une de ces assemblées, à laquelle il

  1. Arrêté du chef du pouvoir exécutif en date du 8 décembre 1848.