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pied, comme on dit, charge annuelle d’environ 60 millions[1]. Étroit calcul que ne ratifie pas l’intérêt bien compris de la France! Qu’une métropole puisse avec dignité consentir à l’indépendance d’une colonie, comme une mère à l’établissement libre de ses enfans, on aime à le penser, au risque de caresser peut-être une illusion ; mais des raisons capitales interdisent à tout jamais une telle abnégation envers l’Algérie, qui occupe le long de la Méditerranée, en face de Marseille et de Toulon, non loin de Gibraltar et de Malte, la position maritime la plus redoutable peut-être de l’ancien continent. On peut entrevoir cette vérité politique en se rappelant que, pendant trois siècles, une bande de pirates, nichée dans son aire inaccessible d’Alger, brava toute l’Europe chrétienne et lui imposa des tributs, — en voyant de nos jours encore les Maures du Rif se soustraire, derrière leurs rochers, aux plus justes châtimens. Le danger d’une côte redoutée pour ses périls fait leur force ; il fait aussi la force de l’Algérie, laquelle, en devenant indépendante, serait, au gré des événemens, notre ennemie ou l’alliée de nos ennemis, si même elle ne passait en leur pouvoir, place d’armes désormais inexpugnable sur le littoral africain.

Au nom même de l’assimilation progressive, et pour éloigner des esprits jusqu’à la simple pensée d’une séparation politique ou commerciale si funestement éclose dans ces derniers temps, il conviendrait de consacrer l’union de l’Algérie à la France en admettant ses députés au corps législatif. Ce droit, reconnu par la constitution de 1848 et exercé pendant trois ans, a disparu de nos lois, emporté par les événemens qui ont enfanté la constitution de 1852. Aujourd’hui que le calme s’est fait dans les hautes régions du gouvernement, un nouvel examen de cette question de droit public paraît opportun. L’expérience, on peut le dire, avait été favorable à cette libérale concession, octroyée à toutes les colonies françaises aussi bien qu’à l’Algérie. Les populations coloniales l’avaient accueillie comme un lien plus intime qui resserrait leur solidarité avec la métropole, et comme un témoignage éclatant de leur nationalité aux yeux du monde entier. Leurs députés aidèrent puissamment par leurs paroles et leurs écrits à toutes les résolutions favorables qui adoucirent une crise que le décret d’émancipation, tout légitime et nécessaire qu’il fût, avait inaugurée sous les plus sombres auspices. L’Algérie connut alors seulement les premières joies du régime civil. Si heureuse avait paru cette initiation à la vie politique qu’elle s’étendit au vote sur le plébiscite proposé au peuple français

  1. Le budget de 1860 porte les dépenses militaires de l’Algérie à 58,388,625 fr. C’est déjà loin des 100 millions mentionnés dans la plupart des écrits politiques.