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qui vivaient avec lui et aux soldats qu’il avait à conduire. Malgré ce que son humeur avait de sévère, presque de farouche, la gaieté de nos officiers ne l’offensait pas. Il y a dans la gaieté militaire de notre nation un fonds de sentimens élevés, de pensées vaillamment insouciantes ou chaudement généreuses, qui était fait pour plaire à cette âme haute, dévouée et sans peur.

Quant à ses soldats, il éprouvait pour eux un vrai sentiment de tendresse expliqué par maintes choses de sa nature. On sait que la troupe, dans les spahis, se recrute entièrement parmi les indigènes. Or je ne connais pas d’hommes ayant dans leurs manières une grâce plus constante, une séduction plus soutenue et plus habile que les Arabes. Le dernier cavalier du désert donnerait des leçons au courtisan le plus consommé dans l’art de flatter les représentans de la force et de l’autorité sur cette terre. Une soumission élégante et chevaleresque, servie par des paroles passionnées et poétiques, voilà le don que reçoivent en naissant tous les enfans d’Ismaël. « Dieu et toi! » il faut leur entendre dire ces paroles à leurs chefs, en leur baisant la main avec une courtoisie d’Abencerrage. Le scepticisme français réduit ces expressions à leur juste valeur; mais Fabio devait se livrer tout entier à l’attrait de ces esprits revêtus du même charme que le sien. Il éprouvait un bonheur qu’il n’aurait point osé espérer après les cruelles disgrâces de sa vie, quand il était assis dans sa tente, au milieu de ces personnages en burnous rouges tout remplis d’une fierté guerrière, d’une dignité patricienne et d’une sorte de confiance enfantine. Dépouillé violemment de toutes ses affections terrestres, il pensait avoir retrouvé une famille; les heures qu’il a passées parmi ces hommes, sur qui du reste il n’a jamais voulu entendre un mot malveillant, sont les seules dont il ait gardé un souvenir sans mélange de chagrin ou d’amertume. Malheureusement ces émotions salutaires n’étaient point les seules que devait lui offrir l’Afrique.

Me voici arrivé au seul endroit de son existence où les violences fatales de sa nature n’aient pas eu ce caractère de pureté et de justice qui les a si étrangement marquées. Fabio avait reçu une éducation sincèrement religieuse, et il avait d’ailleurs un trop vigoureux dédain de toutes les vulgarités pour s’abandonner à ce genre de désordres qui soufflettent, bafouent et finissent par tuer en nous les pensées élevées. Eh bien ! il était peut-être plus exposé pourtant à d’énormes, à d’irréparables fautes que maint homme grossier et sans foi. Il avait à l’endroit de toute créature dont il s’était cru aimé un seul instant cette sensibilité sans mesure qui est tantôt l’honneur, tantôt l’abaissement des âmes passionnées, toujours leur tourment et leur péril. Puis ce n’était pas vainement qu’il était né