Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous ont suggéré une pensée que voici : ce n’est pas seulement dans ces spectacles de la nature auxquels songeait sans cesse l’homme dont nous voulons parler aujourd’hui que réside une grandeur permanente, sorte d’outrage ou tout au moins de reproche à certaines mesquineries de l’espèce humaine. A côté de l’existence bornée et débile où tant d’hommes perdent tous les dons de l’énergie, il y a eu, il y aura toujours une existence forte et vaste qui poursuit son cours à travers tous les pays et tous les siècles. On entend de continuelles lamentations sur la disparition de la race intrépide et des élans héroïques : ces lamentations n’ont rien de fondé. Tout ce monceau même de soins vulgaires, de pensées grossièrement terrestres dont les civilisations trop avancées écrasent la plupart des âmes, n’empêche pas maintes natures vigoureuses de suivre les lois de leur développement. Tandis que le mondain de voltaire s’occupe des verres où il boit le vin de Champagne, des tasses où il savoure le café, et monte en carrosse pour aller u chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie, » il est plus d’une touffe de gazon, d’une motte de terre qui continue à recevoir un sang généreux dont les sources ne seront jamais taries. Maintenant, pour vous enlever un instant aux soucis ordinaires, aux tracas journaliers de la vie parisienne du XIXe siècle, voulez-vous que je vous raconte toute une série d’aventures où semblent s’être déchaînées les passions les plus impétueuses des âges passés? Voici une histoire d’hier.

Il est mort à Pau tout récemment un homme dont on a beaucoup parlé à une certaine époque, dont le nom vous rappellera probablement de vifs souvenirs, et dont la mémoire pourtant est déjà recouverte de cette couche d’oubli sous laquelle disparaissent si vite toute créature et toute chose. Don Valerio Fabio de Cruentaz était jeune encore, quoiqu’il eût fait de rudes et longues guerres, mais il avait reçu dans son âme et dans son corps toutes les blessures qu’un être humain peut recevoir ici-bas. Rien ne lui avait manqué, depuis le coup de feu qui brise les os, le coup de sabre qui déchire les chairs, jusqu’à cette atteinte des glaives invisibles d’où naissent les plaies insondables, les souffrances sans mesure, tout l’infini et tout l’inconnu de nos maux. Aussi Fabio était-il mûr pour la mort, dont il était bien loin di| reste de vouloir écarter la main. Une femme que je n’ai pas besoin de nommer, vous la reconnaîtrez peut-être, cela ne lui importe guère, se prit pour lui d’une tendresse ardente, que je pourrais presque appeler pieuse : quoiqu’elle l’eût rencontré il y avait à peine quelques mois, elle lui prodigua les seuls soins qui peuvent donner quelque soulagement à ceux qu’il est impossible de guérir. Il recevait avec une profonde reconnaissance ces marques de son affection, comprenant ce qu’elle avait de touchant, de sacré et