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à ces deux momens de franchise suprême, il se montra libéral et patriote autant que son métier de roi, selon le mot d’Alfieri, le lui permettait. Lorsqu’il refusa de prendre la Lombardie, en abandonnant la Vénétie à l’Autriche, il avait déjà perdu toute espérance; mais, la dernière heure venue, il ne voulut pas laisser une ombre sur sa mémoire. Son rôle était fini; il ne lui restait qu’à mourir. Catholique et libéral, il avait été deux fois martyr : de ses scrupules religieux avant 1848, plus tard de son libéralisme. Il s’était sacrifié aux deux plus hautes aspirations humaines, la religion et la liberté. Déçu dans la double foi qui avait inspiré et tourmenté sa difficile existence, il s’en alla mourir au loin, sombre et grave comme toujours, dans le silence qui sied aux grandes infortunes.


II.

L’idée du libéralisme papal avait perdu dans Charles-Albert son meilleur soldat; il lui restait encore dans Balbo un penseur et un publiciste. Après l’échec glorieux du champ de bataille, elle devait rencontrer la réfutation lente et positive des expériences parlementaires. Déjà cette réfutation avait commencé avec le ministère même du comte Balbo. Qu’avait-il fait comme président du conseil? On regretterait d’avoir à dire que pas un acte mémorable ne marque son passage aux affaires, s’il n’était évident que le meilleur soldat est réduit à l’impuissance lorsque ses chefs semblent faillir à la cause nationale. Dès les premiers bruits qui coururent sur le revirement de la politique romaine, le ministère Balbo, à peine entré en fonctions, ne sut plus où se rattacher, et fut enveloppé dans la débâcle. Au temps où chacun était papiste, Balbo, papiste libéral, avait eu l’air d’un démocrate; alors que tout le monde était libéral avant tout, il n’était plus pris que pour un papiste. Il dut disparaître avec la planche de salut hasardeuse à laquelle sa piété l’avait porté à se confier. Voici l’histoire de ses dernières actions, dictée par lui-même à une époque de lassitude et de désenchantement, où il semblait avoir perdu la mémoire des joyeuses espérances qu’il avait partagées lors de son entrée au ministère :


« Deux années, les deux fatales années 1848 et 1849, ont passé depuis mes derniers écrits. Appelé inopinément par Charles-Albert à former le premier ministère constitutionnel de mon pays, et voyant que d’autres refusaient cette charge, qui exposait les réputations à tant de dangers, sinon matériels, du moins politiques, je considérai et j’acceptai le péril, pensant que c’était mon devoir. Je prévis et je dis que le ministère durerait quatre mois et demi ; il dura quatre mois et douze jours. Je prévis et je dis que quiconque s’élance le premier dans le tourbillon des révolutions, où les réputations sont si vite