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fait étendre son tapis sous le porche de l’église de Souli, afin d’y dormir et d’y fumer à l’ombre. Une seule chose consolait le vaillant klephte, c’est que du moins la maison des Tsavellas n’avait pu être profanée par le contact des Turcs, puisqu’il l’avait réduite en cendres.

Le lendemain, Photos entrait à Kiapha, le cœur navré par le spectacle de la situation presque désespérée de son pays. Personne ne s’attendait à le revoir; sa présence répandit parmi les montagnards une joie d’autant plus vive qu’elle était inattendue. Le terme des prospérités de Souli semblait dater du jour où ses ingrats compatriotes l’avaient banni; les sinistres prédictions de Samuel s’étaient réalisées. Les Souliotes, aussi superstitieux que braves, voyaient dans la présence inopinée de leur intrépide chef le signal du retour de la faveur céleste, ils l’entouraient comme un libérateur; oubliant leurs périls et le voisinage de l’ennemi, ils déchargeaient en l’air leurs carabines; les femmes et les enfans faisaient retentir la montagne de leurs chants et de leurs cris; c’était une fête générale dans ces lieux ravagés par la famine et les combats. Photos pourtant s’efforçait de se soustraire à cette ovation, par laquelle ses compatriotes tentaient de lui faire oublier les tristesses de son exil et les rigueurs de sa captivité. Refusant de se rendre à Kounghi auprès de Samuel et de Chaïdo, dans la crainte d’exciter les soupçons des Turcs par cette entrevue, il assembla les capitaines présens à Kiapha, et leur dit : « Le temps presse, écoutez-moi. Ali ne m’a rendu la liberté que pour vous communiquer de sa part un arrangement qui doit terminer la guerre à son profit. Il veut que je fasse sortir tous les hommes de ma tribu et tous ceux qui auront le désir de s’en aller d’ici. Il a ma promesse. Ma femme et mes enfans sont à Janina; ils répondent de moi. Or il ne s’agit pas de cela. Le moment est venu de vous débarrasser de toutes les bouches inutiles. J’ai un sauf-conduit pour trois cents hommes; renvoyons un nombre égal de femmes, d’enfans, de vieillards. Je me charge de les conduire en lieu sûr, et puis je reviendrai combattre avec vous. Hâtez-vous de préparer leur départ, afin que nous puissions fuir avant qu’Ali n’apprenne qu’il a été trompé. »

La proposition de Tsavellas fut unanimement adoptée. Avant d’effectuer cette sortie, il était nécessaire d’assurer un asile aux transfuges. Tsavellas partit le soir même pour Parga, afin d’y négocier leur passage à Corfou. Il espérait que peu de jours suffiraient pour terminer cette affaire. Les Parguinotes accordèrent à Photos tout ce qu’il voulut; ils s’estimèrent heureux de contribuer ainsi au triomphe d’une cause qu’ils regardaient avec raison comme la cause de tous les Grecs. Un exprès fut expédié à Corfou, afin d’obtenir