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de la clémence impériale. Ali, désormais libre d’agir et de suivre les inspirations de sa haine, publia partout cet ordre et convoqua jusqu’au dernier de ses tenanciers. A la voix du vizir, dix mille hommes de nouvelles troupes se précipitèrent comme un torrent à l’entrée de la terrible montagne par toutes les vallées environnantes. A Souli, l’enthousiasme était porté à son comble par la récente destruction de la tour de Vilia, la plus considérable de celles qu’avait fait construire le pacha. Samuel avait peine à contenir l’ardeur inconsidérée de ses soldats, qui n’entrevoyaient plus que des victoires. Après tant de merveilles accomplies, il est permis de croire que les Souliotes seraient en effet sortis triomphans de la lutte, si la trahison n’était venue détruire l’œuvre de l’héroïsme.

Koutzonicas et Pilios Goussis, les deux chefs qui avaient le plus contribué à faire décréter l’exil de Photos, voyaient avec un extrême déplaisir la reprise des hostilités. Ils ne partageaient pas la confiance générale et s’attendaient à une catastrophe; ils résolurent de la précipiter, afin de soustraire leurs personnes et leurs biens à la ruine commune. Le premier abandonna tout à coup avec la plupart de ses hommes le défilé dont la défense lui avait été confiée; le second, Pilios Goussis, poussa plus loin l’infamie : il s’entendit avec Vély-Pacha, et profita d’une nuit orageuse pour introduire deux cents Albanais dans une maison qu’il possédait au centre même de Souli. Le lendemain matin (25 septembre 1803), Vély-Pacha apparaissait inopinément avec la plus grande partie de ses troupes devant ce village, dans lequel cinquante hommes seulement se trouvaient réunis. Ces derniers furent obligés de renoncer à se défendre ; ils se replièrent sur Kounghi. Les Turcs se précipitèrent alors dans Souli, étonnés de mettre enfin le pied sur ce sol redoutable qu’ils atteignaient pour la première fois, ivres d’orgueil et de joie, comme si ce facile triomphe eût été le fruit d’un laborieux combat.

Pendant ce temps, Samuel hissait son drapeau sur la tour de Kounghi et faisait tonner le canon de la forteresse, afin d’inviter tous les habitans de la montagne à se rallier autour de lui. À ce signal, ceux d’iAarikos et de Samoniva évacuèrent leurs villages, dans lesquels ils n’espéraient plus pouvoir se maintenir. Pendant quarante jours, les Turcs s’épuisèrent en vains efforts pour s’emparer de Kiapha : les Souliotes s’y défendaient avec toute l’énergie du désespoir. Lorsque, brisés de fatigue, incapables de tenir plus longtemps leurs armes, ils cédaient à l’impérieuse nécessité de quelques heures de repos, les femmes prenaient leur place, maniaient la carabine, défendaient les remparts et exécutaient des sorties avec la même audace et le même sang-froid que les plus robustes et les plus vieux guerriers. Au mois de novembre, les Turcs n’avaient en-