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Les Albanais perdaient patience; les maladies et la désertion les décimaient et désorganisaient les forteresses et les camps. Les ressources de la contrée ne suffisaient plus aux besoins d’une telle agglomération d’hommes; nulle administration ne veillait aux nécessités de l’armée; les provisions, tirées de loin, arrivaient lentement et rarement. Les assiégés étaient dans une situation plus terrible encore; une affreuse disette régnait parmi eux, tout leur manquait. Leurs courses de nuit étaient devenues infructueuses dans ce pays ravagé et privé lui-même de toute subsistance, et les défenseurs de Souli étaient réduits à une ration absolument insuffisante pour réparer leurs forces. Sur ces entrefaites, Ali fit tout à coup aux Souliotes des propositions de paix, d’après lesquelles tout devait être rétabli entre eux et lui sur l’ancien pied, s’ils consentaient à ne plus commettre aucune déprédation sur ses terres, et à lui livrer, avant toute négociation, vingt-quatre otages en garantie de leur bonne foi.

Tsavellas, sacrifiant son ressentiment personnel au salut de la patrie en danger, ajourna la lutte à des temps plus propices et consentit à traiter. La montagne était aux abois; il fallait bien prendre un parti : les capitaines de Souli se décidèrent à livrer les vingt-quatre otages, sans réfléchir que la détresse à laquelle ils se trouvaient réduits rendait ces avances trop avantageuses pour qu’elles ne cachassent pas un piège. En effet, à partir de ce moment, Ali ne parla plus de négocier, et doubla les garnisons des douze forteresses. Cette manœuvre n’était qu’une de ces perfidies qui lui étaient habituelles. Il fit plonger les otages dans les prisons de Janina, comptant que leurs familles ne penseraient qu’à les tirer de ses mains, et qu’elles forceraient ainsi les défenseurs de Souli à se rendre sans conditions. Il n’en fut rien. Les Souliotes, indignés de cette trahison, ne songèrent qu’à en tirer vengeance, et firent serment de ne plus écouter aucune proposition du vizir, quelle qu’elle fût. Afin de lasser la patience des assiégeans en leur prouvant que le découragement ne s’était pas glissé dans la place, ils remplirent la montagne de chants guerriers et de bruits de fêtes pendant plusieurs jours. Lorsqu’une bonne fortune faisait tomber entre leurs mains quelques prisonniers turcs, ils proposaient par dérision les plus grotesques échanges, et rendaient un aga contre un âne, un soldat contre un porc. Il y avait en ce moment à Souli une entente héroïque qui devait tromper longtemps encore tous les calculs et toutes les espérances du pacha.

On était au mois de mai 1801, le blocus durait depuis un an. Les Grecs avaient perdu plus de cent hommes, tant tués que prisonniers : perte irréparable, puisqu’ils n’avaient aucun moyen de se recruter. Les vivres touchaient à leur fin. Photos Tsavellas recon-