Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Photos ne partageait point l’émotion causée par la grandeur du péril; ce jour était pour lui le jour depuis longtemps attendu. Il procéda au dénombrement de ses forces, qui s’élevaient à dix-huit cents soldats et trente capitaines. Puis, comptant sur l’intrépidité bien connue des montagnards, il résolut de descendre au-devant de l’ennemi. A peine eut-il annoncé cette détermination, que tous les courages, un instant ébranlés, se relevèrent. L’amour de la patrie et de la liberté se ralluma dans ces cœurs énergiques et en chassa les sinistres pressentimens conçus dans un premier moment de surprise. Hommes, femmes, enfans se disputèrent l’honneur de faire partie de la troupe désignée pour le prochain combat.

Ali rapprochait peu à peu de la montagne la plus grande partie de ses troupes et préparait tout pour un grand assaut. Parmi les beys albanais, il en était un, Islam Prognio, qui n’avait pu se résigner encore à la perte de son indépendance et qui servait à contre-cœur le redoutable satrape de l’Épire; il enviait le sort des Grecs libres de la Selléide, et l’admiration qu’il éprouvait pour leur courage lui avait inspiré une secrète sympathie en faveur de leur cause. Islam dépêcha en toute hâte à Tsavellas un serviteur dévoué pour l’avertir que le pacha se préparait à livrer un assaut général, et pour lui conseiller de prévenir promptement par quelque surprise nocturne une attaque qui pouvait être funeste aux défenseurs de Souli. Photos choisit aussitôt quatre cents pallikares, les plus éprouvés et les plus propres à un vigoureux coup de main. Il descendit la montagne au coucher du soleil, et n’avança qu’avec de grandes précautions pour ne pas donner l’éveil aux Turcs, qui du reste dormaient profondément selon leur habitude. La nuit était noire, l’atmosphère pesante et orageuse; des éclairs fréquens annonçaient une tempête. Les Souliotes ouvrirent tout à coup un feu terrible. Réveillés en sursaut, les musulmans coururent aux armes et se mirent à tirer au hasard, car l’obscurité de la nuit ne leur permettait pas d’apercevoir les assaillans. Formées sur les cimes lointaines du Pinde et subitement arrêtées par un vent du sud-ouest, les nuées crevèrent sur le camp des Turcs; une grêle sèche et drue leur fouettait le visage, de telle sorte qu’ils se défendaient à peine au milieu d’une horrible confusion. Cette tempête parut aux Turcs un signe évident de la défaveur céleste. Après trois heures de combat, ils prirent la fuite, laissant aux mains des Souliotes deux cents morts, de nombreux blessés et une grande quantité de vivres, d’armes et de munitions. Les Souliotes avaient perdu trois hommes; ils revinrent chargés du butin le plus précieux en pareille circonstance : de la poudre et du pain.

La désertion se mit subitement dans les troupes du pacha. Peu soucieux de leur serment et renonçant aux récompenses promises,