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proclamé vainqueur. Ali-Pacha se leva en battant des mains. A ce signe, les Turcs, attentifs aux moindres gestes de leur chef, se précipitèrent en masse sur les Souliotes, exténués et sans défense, les terrassèrent et les chargèrent de chaînes.

Aussitôt Ali se dirigea à marches forcées sur Souli, qu’il espérait bien surprendre. Par bonheur, un des captifs, doué d’une vigueur peu commune, réussit à rompre ses liens pendant la nuit. Il trompa la vigilance des gardes et prit à toutes jambes le chemin de la Selléide, où il arriva assez promptement pour jeter l’alarme parmi ses compatriotes. En peu d’heures, les Souliotes eurent achevé leurs préparatifs. Ainsi que cela se pratiquait toujours en pareille circonstance, la fertile Parasouliotide fut ravagée par ses propres habitans, qui se replièrent en toute hâte dans la montagne. Aussi, lorsque le pacha eut atteint le territoire de la confédération, il trouva la plaine déserte. Les greniers étaient vides, les fermes abandonnées, les sources taries, les puits comblés, les champs moissonnés, car le soleil du mois de juillet avait récemment mûri les récoltes. Quelques chiens étaient seuls restés dans les villages; à la vue des Turcs, ils s’éloignaient en courant dans la direction de Souli, comme pour annoncer à leurs maîtres l’approche de l’ennemi. Voyant que ses adversaires étaient sur leurs gardes, Ali-Pacha voulut traiter avec eux. Il rendit donc la liberté à Lampros Tsavellas, à la condition que celui-ci persuaderait à ses compatriotes de mettre bas les armes. A peine de retour dans Souli, Lampros excita par ses discours l’enthousiasme patriotique des montagnards et prépara tout pour une vigoureuse défense, sacrifiant ainsi au salut de la chose publique son fils et les autres prisonniers qu’Ali avait gardés en otages.

Photos et ses compagnons avaient été envoyés à Janina, dont le gouverneur, Vély, fils d’Ali-Pacha, voulut ajouter aux rigueurs de la captivité réservée aux Souliotes l’horreur d’une perpétuelle attente de la mort. Il manda en sa présence Photos, qui, étant le plus jeune, lui paraissait devoir être le plus accessible à la frayeur : « Demain, lui dit-il, vous serez tous brûlés vifs. — Tu feras bien, lui répondit l’intrépide jeune homme; mon père en usera de même à l’égard de ton père et de tes frères, s’ils tombent entre ses mains[1]. » Convaincu que l’exécution suivrait de près la menace. Photos exhorta ses compagnons à mourir noblement. Après trois jours et trois nuits d’inexprimables angoisses, ces infortunés entendirent tout à coup les portes de leur prison s’ouvrir; ils s’apprêtaient à marcher au supplice. C’était au contraire l’heure de la délivrance; on les rendit à la montagne, à la liberté. Vaincu dans un combat

  1. Nous tenons ce fait du neveu même de Photos, le général Kitsos Tsavellas.