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qu’en méditant sur cette grave situation d’un pouvoir temporel qui se développe et d’un pouvoir spirituel qui demeure stationnaire, et sur les moyens non pas d’arrêter celui-là, mais de donner à celui-ci la faculté d’évolution.

La pensée de quelques publicistes, fort éminens d’ailleurs, est que tout ce que la civilisation gagne, l’état le perd. La pensée de M. Dupont-White, absolument contraire, est que tout ce que la civilisation gagne, l’état le gagne. La première est en opposition avec la tradition historique, et conduira, là où elle prendra quelque ascendant, à l’imminence de l’anarchie. L’autre est en pleine conformité avec le passé politique des sociétés, et, en établissant pour mesure de la croissance de l’état la croissance de la civilisation, elle implique par cela même la garantie des intérêts essentiels. Il faut donner un exemple, qui vaudra pour tous, de cette corrélation : je le prends dans ce que je connais le moins mal. La médecine, en raison même de ses progrès, en est venue à passer de la considération de l’individu à la considération de la société, et à créer sous le nom d’hygiène publique un ensemble de notions d’une extrême importance. Chaque jour ajoute à ce domaine. L’air des villes dont il faut maintenir la salubrité, le sous-sol qui s’infecte, les logemens, les hôpitaux, les cimetières, les armées en paix et en campagne, les industries insalubres, les ateliers et les ouvriers, le travail des enfans, la sophistication des alimens, les maladies épidémiques et endémiques, le rapport de ces maladies à l’altération des céréales, tel est en bref le champ qui lui est ouvert. Maintenant, en regard, suppose-t-on que l’état a dû, a pu, a voulu rester oisif? Non sans doute, et lui qui naguère n’avait aucun souci des mesures hygiéniques, aucune charge de ce côté, aucune fonction de ce genre, s’est investi très promptement du très considérable office de faire tourner les acquisitions de la science au profit de ses administrés. Appliquez ceci à tout le reste, et voyez si, à mesure que la civilisation gagne, les fonctions de l’état ne gagnent pas en étendue et en qualité.

C’est aussi une pensée de M. Dupont-White que la liberté de l’individu croît à mesure que les fonctions de l’état croissent et s’élèvent. Elle est certainement ingénieuse, je la crois très vraie dans son principe; mais elle a besoin d’explications. L’état est une machine puissante dont le fonctionnement n’est pas toujours réglé pour le plus grand bien; le mécanicien peut avoir ses passions, ses erreurs, ses intérêts tout à fait en dehors de l’intérêt général, et alors non-seulement l’individu, mais encore la société seront exposés à de sérieux dommages. Ainsi, par exemple, de 1793 à 1801, l’Angleterre se trouva soumise à un gouvernement violent, énergique, armé