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tifier la civilisation avec les sciences naturelles ou exactes. Les sciences exactes sont les mathématiques et leurs dépendances, les sciences naturelles embrassent la connaissance des êtres organisés, et identifier avec ces sciences la civilisation, c’est supposer que le développement des unes est la condition du développement de l’autre. Il ne reste d’ailleurs aucun doute sur le sens, si l’on se rappelle que M. Dupont-White déclare ne connaître aucune civilisation fondée sur la géométrie ou la chimie. Pour ma part, je déclare comme lui n’en pas connaître, non plus que de fondées sur la botanique, la zoologie et l’histoire naturelle. Il faut donc que M. Auguste Comte ait voulu dire toute autre chose. M. Dupont-White est un homme aussi éclairé que désireux de rendre justice à la pensée d’autrui, même quand il la combat; mais une opinion vulgaire a travesti de cette façon la conception de la philosophie positive et s’est imposée à un excellent esprit.

Écartons la méprise. C’est de cela uniquement qu’il s’agit, et non de faire une exposition ou une démonstration. La philosophie positive n’identifie pas la civilisation avec les sciences exactes ou naturelles; elle ne la fonde pas sur la géométrie ou la chimie, elle ne prétend pas qu’aucune de ces sciences en donne la clé ou en soit la cause. Suivant elle, l’évolution des sociétés, ou civilisation, ou histoire, est soumise à une loi qui en détermine la direction et le progrès. Si vous niez ceci, vous admettez nécessairement l’une ou l’autre de ces deux hypothèses, suivant l’ordre de croyances auquel vous appartenez : si vos croyances sont théologiques, vous pensez que la Providence, par son intervention perpétuelle ou accidentelle, en produit le mouvement; si vos croyances ne sont pas théologiques, vous pensez que le hasard seul en est l’agent, et qu’il n’y a rien à savoir sur un phénomène où il n’y a aucune loi. Notez bien ceci pourtant : si vous repoussez (ce qui arrive à beaucoup d’esprits de ce temps) l’intervention de la Providence comme vous la repoussez de la chute de la foudre, si vous apercevez que dans l’enchaînement des causes et des effets le hasard n’est qu’un mot vide de sens, si vous pressentez que ce qui se passe dans l’histoire a sa raison d’être dans les conditions de l’histoire, alors vous appartenez à la conception de la philosophie positive ; vous pouvez l’interpréter tout autrement qu’elle ne fait : peu importe, un principe commun à vous et à elle est gagné. Le temps se chargera de produire et de tirer les conséquences.

Ce qui certainement a donné lieu à la méprise, c’est que M. Comte, dans son grand ouvrage, commence par exposer les théories générales de la mathématique, puis celles de l’astronomie, et ainsi de suite. On a pensé qu’il suffisait de cette seule indication pour com-