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celle-là ne peut être changée sans un changement préalable du régime social, et une portion muable, qui est subordonnée aux hommes chargés de tenir les rênes. C’est là qu’est l’empirisme. Il faut gérer les affaires, pourvoir aux difficultés tant intérieures qu’extérieures, lutter contre les révoltes, défendre ou agrandir le territoire, protéger ce qui est digne d’être protégé, abandonner à son sort ce qui, vieilli, n’a plus d’efficacité. Pour toutes ces conjonctures, l’état et les hommes d’état n’ont eu jusqu’à présent que les traditions, l’empirisme et les instincts. Heureux quand tout cela concourait avec les impulsions spontanées; alors ce fut œuvre de génie, de lumière et d’avenir! Malheureux quand tout cela venait contrarier les tendances sociales; alors ce fut œuvre de ténèbres, d’impuissance misérable ou de passions personnelles et mauvaises, de rétrogradation momentanée !

Comme la partie spontanée que je signale est indépendante de l’état, elle peut entrer en conflit avec lui, et l’on n’en doutera point quant à l’expression vague de partie spontanée j’aurai substitué l’expression précise, qui est l’ensemble des opinions et des mœurs. Cet ensemble émane de quatre sources : l’industrie, la religion, la poésie et les arts, et enfin les sciences. Sur tout cela, l’état n’a que surveillance et protection. Le développement et la réaction mutuelle de chacun de ces élémens ne sont pas sous son pouvoir. Là est la force vive qui fait que l’humanité a non pas de simples changemens, mais une histoire.


II. — DU CONFLIT ENTRE LA LOI D’ÉVOLUTION ET L’ÉTAT.

J’achèverai de préciser mon idée et de me faire comprendre en rapportant quelques exemples connus de tout le monde, et où je n’interviendrai que pour l’interprétation, dictée d’ailleurs par la distinction entre la science abstraite et la pratique.

Jacques II d’Angleterre essaya de rétablir dans son royaume le catholicisme et le pouvoir absolu. L’Angleterre avait embrassé la réforme; elle avait fait une révolution formidable, qui avait amené la mise en jugement et la condamnation d’un roi; elle avait été en république, elle avait passé sous le protectorat de Cromwell. Dans son sein s’agitaient à la fois les passions religieuses et les passions politiques; les sectes pullulaient, même les libres penseurs commençaient à poindre, et l’autorité royale ne se présentait plus aux esprits les meilleurs et les plus actifs que comme tempérée et balancée par l’autorité de la nation. Rien dans tout cela n’était fortuit, rien dans tout cela n’était faible. Que faire devant une pareille situation? Y obéir ou la combattre? Jacques II, fils du passé, catho-