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crée par une sanction immémoriale et par une répression de plus en plus infaillible. On ne voit pas vraiment ce que l’homme aurait au-dessus de la brute, s’il ne portait en lui le pouvoir de s’améliorer, de s’éclairer à ce spectacle. Chaque génération se trouve appelée par là à valoir mieux, ou plutôt à se conduire mieux que ses devancières. L’homme de nos jours, dès ses premiers pas dans le monde, y est témoin de certaines réprobations professées par les lois et par les mœurs, par les philosophies et par les religions, dans le monde et dans la famille. De plus, il apprend que les choses ainsi réprouvées ne se commettent guère impunément. Enfin il comprend mieux, grâce à la culture et à l’illumination croissante des esprits, la liaison intime du juste et de l’utile, les profits de la droiture, les périls de l’improbité. À ces divers titres, il ne peut manquer d’être supérieur moralement à l’homme du moyen âge. »

Après avoir écarté du premier plan l’individu quant au développement des sociétés, et y avoir mis l’état, M. Dupont-White rencontre une autre théorie, celle qui attribue ce même développement à l’action de lois naturelles. On peut résumer ainsi son examen de la question : l’humanité se déploie sous l’empire de lois naturelles, et il est permis d’imaginer que ces lois pourraient produire la civilisation par leur seule énergie, indépendamment de tout concours humain. Cependant, à en juger par les analogies, les choses ne se passent pas de la sorte. Partout où les besoins de l’homme le mettent en rapport avec les lois naturelles, celles-ci n’agissent comme il l’entend que par l’intermédiaire de sa coopération. Toute la conclusion à tirer de ce qu’il y a des lois naturelles, c’est que l’action de l’homme est sujette à des modes, à des limites; mais vous ne pouvez induire qu’elle soit superflue. Les lois qui gouvernent le monde sont faites pour dominer, non pour suppléer l’humanité, et en particulier, tout en déterminant ce qui peut être et ce qui ne peut pas être, elles demeurent inertes sans l’intervention humaine. La liberté humaine ne se concilie pas seulement avec la nécessité des lois naturelles, elle est l’auxiliaire indispensable de ces lois. Celui qui cultive un champ est soumis à toutes les conditions du sol, du ciel et de la végétation; elles le dominent, et il n’y peut rien changer; pourtant c’est son industrie et son intelligence qui, se combinant avec ces conditions, obtiennent du sol une riche moisson. De même est le champ de l’histoire : les conditions y sont soustraites à la volonté humaine; pourtant l’industrie et l’intelligence y font germer une civilisation progressive. Personne ne contestera que les lois naturelles qui régissent les sociétés opèrent uniquement à l’aide de l’intervention humaine : autrement ce serait supposer que ces lois sont extérieures aux sociétés; mais ici, par intervention humaine,