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verné. Les notions de justice, de bien, de liberté, de perfectionnement, viennent, suivant les temps et suivant les lieux, demander des satisfactions successives que l’individu ne saurait effectuer, que la société inspire et que l’état réalise.

Le style du livre est vif et alerte; l’allure en est courte et coupée, mais elle entraîne le lecteur. La phrase est jetée avec laisser-aller, sans négligence, et l’effet n’est pas manqué. Ce n’est pas un mince mérite que de donner l’aisance aux questions difficiles. L’argumentation de M. Dupont-White est, comme son style, pressante et spirituelle; elle a quelque chose d’imprévu qui ne déplaît pas et qui attache, et à l’examen on s’aperçoit que, pour ne pas user de procédés scolastiques, elle n’en est pas moins habile à l’attaque et à la défense. Une idée étrangère à l’antiquité et au moyen âge a commencé à poindre il y a un peu moins de deux cents ans, et est allée s’affermissant tous les jours : c’est que les sociétés sont sollicitées par un mouvement qui les modifie, qui suit une direction déterminée, et que l’on nomme progrès. Aussitôt que cette idée eut pris rang parmi les vérités scientifiques, on l’appliqua à cette même antiquité, à ce même moyen âge, qui ne l’avaient pas connue et qui, sans se douter de la force qui les emportait, avaient subi l’impérieuse loi du changement. C’est ainsi que les hommes se sont longtemps crus immobiles sur une terre immobile, tandis qu’en réalité ils accomplissaient un prodigieux voyage autour du soleil, et peut-être un voyage plus prodigieux encore dans les espaces cosmiques, si tant est que notre soleil lui-même ne soit pas fixé à sa place et qu’il oscille dans quelque orbite gigantesque. De cette évolution, les trois facteurs sont la société, l’individu et l’état. Je me réserve de parler à loisir de la part de la société. Quant aux deux autres, M. Dupont-White n’entend pas sacrifier l’état à l’individu, mais il n’entend pas non plus sacrifier l’individu à l’état. Pour lui, tandis que l’état, contrairement à l’opinion de quelques-uns, est un organe croissant, l’individu, contrairement à l’opinion de quelques autres, n’est pas une personne décroissante. Le rapport de ces deux agens est non pas inverse, mais direct.

M. Guizot a dit dans son Histoire de la Civilisation moderne : « La société non gouvernée, la société qui subsiste par le libre développement de l’intelligence et de la volonté, va toujours s’étendant à mesure que l’homme se perfectionne. » Très bien vu et très bien dit; mais cela n’empêche pas M. Dupont-White de soutenir, en citant ce passage, lequel il ne veut contredire en rien, que pourtant l’homme est d’autant plus gouverné que la civilisation se développe davantage. « Qu’une société progressive porte plus de gouvernement, ceci ne peut passer pour une disgrâce. La grandeur, la dignité de